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L’homme et le singe

Ligne 535, direction nord, mardi 17 h 45.

Il existe parfois, même souvent, des situations qui sont si porteuses qu’il ne faudrait rien ajouter pour ne pas diluer leur impact. Celle-ci en est une.

Elle met en scène un jeune homme accablé par sa journée. Il porte l’uniforme d’un métier sérieux qui implique probablement beaucoup de chiffres, d’essors, de chutes et de maux de tête. Sa cravate pourrait inspirer les valeurs mobilières.

Son veston de laine gris, de pointus conseils financiers. Ou encore ses souliers qui brillent, une banque prestigieuse au parquet tout aussi luisant.

La pâleur de son teint laisse présager qu’il n’a pas pris de vacances depuis un bon bout de temps. Cette hypothèse est appuyée par les cernes bleutés qui soulignent ses yeux.Il a un regard triste sur lequel baissent ses paupières, cherchant ainsi dans l’obscurité quelques secondes de tranquillité.Sa chevelure noire est domestiquée au quart de poil.

Bref, rien ne dépasse de l’allure du jeune homme qui soupire.

Rien, sinon un chimpanzé de plâtre de trois pieds qu’il tient, stoïque, sur ses genoux. Un primate costumé, fidèle à l’image d’Épinal d’un singe de cirque.

Il est vêtu de couleurs joyeuses et lustrées : sa chemise est peinte en jaune, le pantalon à bretelles est rouge, et son pelage, brun foncé. Autour de son cou est attaché un nœud papillon vert à pois blancs.

Le tandem improbable que forment l’homme sérieux et son bibelot géant est des plus décalés. L’attitude du jeune professionnel est en parfaite rupture de ton avec l’aspect loufoque de son compagnon qu’il finit, avec soulagement, par déposer à ses côtés, à la place qui vient de se libérer.

Assise face au duo, je contemple ce tableau et l’absurdité qui s’en dégage. Il y a là quelque chose qui touche concrètement à la tragi-comédie que porte, depuis toujours, notre monde.

On ne connaîtra jamais le rôle que le singe de plâtre joue dans la vie du jeune homme fatigué. Parfois, et même souvent, comme en ce moment, il n’y a rien à ajouter. Il faut seulement se prêter au jeu de décrire, le plus fidèlement possible, un petit bout d’humanité.

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