Si près de 80% des Canadiens estiment impossible de pouvoir fonctionner au quotidien sans leur voiture, cette réalité est plus nuancée à Montréal, où ce chiffre n’atteint que 50% d’après une nouvelle étude. Une situation qui laisse entrevoir une «fenêtre d’opportunité» pour l’autopartage.
L’étude réalisée par Angus Reid Public Global démontre que 62% des Québécois se disent «inquiets» de l’impact de leur automobile sur l’environnement, alors qu’au niveau national, moins de la moitié des Canadiens peuvent en dire autant. Dans le même sens, un Québécois sur 5 aurait l’intention de se débarrasser de sa voiture d’ici 10 ans, alors qu’un Canadien sur 10 poursuivrait cet objectif.
«Ça montre qu’il y a une fenêtre d’opportunité au Québec, et à Montréal en particulier, pour le développement d’une conscience environnementale. On voit que les gens se projettent pas mal plus dans un futur sans voiture en fait», soulève le directeur de la plateforme d’autopartage Turo Canada, Cédric Mathieu, en entrevue à Métro. À Montréal, son entreprise estime qu’un résidant sur quatre est enclin à utiliser ses services d’autopartage, faisant de la métropole un siège important de développement de cette industrie consistant à rendre disponible un ou plusieurs véhicules à un certain nombre de personnes.
Au-delà des chiffres, ce constat ouvre selon lui le débat sur la refonte de la vision «classique» de l’industrie automobile. «Le modèle des voitures industrielles a vécu, mais on constate qu’il n’a plus beaucoup de sens aujourd’hui. Dans le contexte actuel, le plus efficace serait justement de libérer l’usage des véhicules existants en les mettant à la disposition de tout le monde», estime-t-il, appelant à la mise sur pied d’incitatifs pour l’autopartage.
Des leçons à tirer?
Appelé à réagir, le conseiller stratégique à la Coop Carbone, Vincent Dussaut, abonde dans le même sens. «On se rend compte, quand on regarde l’utilisation moyenne d’une voiture, que presque tout le monde l’utilise surtout à l’heure de pointe, envisage-t-il. À long terme, il y a donc plusieurs possibilités d’optimisation. Plus il y a de covoiturage ou d’autopartage, plus on allège forcément le trafic.»
«Il y a plusieurs avantages à optimiser la flotte partagée de véhicules, d’autant plus qu’à chaque véhicule sur la route, on crée quatre places de stationnements», plaide-t-il. L’espace urbain ainsi utilisé peut devenir problématique selon lui, dans la mesure où il prive les municipalités d’espace pour créer des incitatifs à la mobilité durable.
Pour Marc-Antoine Ducas, qui a fondé l’application de covoiturage Netlift en 2015, il ne faut pas non plus se surprendre de cette inutilisation importante des véhicules. «C’est un peu comme une salle de bain dans une maison. Ce n’est pas quelque chose qu’on va utiliser plus que 4% du temps, mais on en a besoin», illustre-t-il.
«La plupart des gens ont une auto parce que l’alternative n’est pas acceptable, surtout hors des grands centres. L’organisation de la vie nous force aussi à avoir un mode de transport efficace et rapide.» -Marc-Antoine Ducas
Il avance que la propriété partagée, à la manière d’Airbnb en immobilier, «a beaucoup de potentiel pour s’attaquer à cette problématique [de la congestion routière]». «Sur les campus universitaires, par exemple, on a des stationnements gigantesques, note-t-il. Est-ce que, pendant la journée, certains véhicules pourraient être réutilisés par des tiers? C’est une question qui se pose.»
Les limites de l’autopartage
Même s’il en reconnaît les bénéfices potentiels, le spécialiste en économie urbaine de l’Université de Montréal, Jean-Philippe Meloche, voit des limites très fortes à l’expansion de l’autopartage.
«Pour partager son véhicule de manière régulière, il faut y croire d’abord, précise-t-il à Métro. Une fois qu’on a réuni tous ces croyants, c’est sûr qu’on va saturer en termes d’expansion. Et sans mettre des incitatifs pour retirer des voitures des routes, c’est difficile après de convaincre les gens de partager leur véhicule si au final, ce n’est pas payant.»
«À l’heure actuelle, quand on regarde les effets pervers de l’automobile comme la congestion, la pollution et les enjeux de sécurité, on voit que tout n’est pas lié à la possession mais bien à l’utilisation.» -Jean-Philippe Meloche
«Si l’objectif, pour plusieurs, est d’avoir la propriété des biens, l’argument de sous-utilisation des véhicules n’est pas nécessairement pertinent», fait aussi valoir l’expert, plaidant pour une meilleure identification des besoins avant toute chose.