L’imminente signature de la nouvelle politique fédérale de lutte contre l’itinérance «inquiète» des organismes montréalais et québécois. Si le gouvernement compte allouer 2,2 G$ à ces mesures dans les dix prochaines années, les groupes craignent que les sommes versées au Québec ne touchent que la «pointe visible de l’iceberg».
Ottawa a récemment lancé le programme Vers un chez-soi, qui doit déterminer comment la lutte à l’itinérance sera menée au pays d’ici 2028. Le ministère de l’Emploi et du Développement social planche présentement sur l’orientation des sommes partout au Canada.
Sur papier, ces sommes supplémentaires s’avèrent positives, observe le directeur du Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM), Pierre Gaudreau.
«Les fonds de lutte à l’itinérance sont apparus il y a vingt ans. Jusqu’en 2016, on ne les avaient jamais augmentés ni indexés, affirme-t-il. Avec Vers un chez-soi, ça va être 100% de plus que ce qu’on avait pendant 15 ans.»
Dans une conférence de presse conjointe avec le Réseau Solidarité itinérance du Québec (RSIQ), mardi, le RAPSIM a toutefois appelé le gouvernement du premier ministre Justin Trudeau à travailler en amont et à laisser au Québec le luxe de faire appel à «son expertise».
«Bravo pour les fonds nouveaux, mais les objectifs sont mauvais, ajoute M. Gaudreau. En dix ans, le gouvernement veut cibler l’itinérance chronique. Le problème c’est qu’il va nuire à des actions menées auprès d’autres personnes en situation d’itinérance invisible, mais bien réelle.»
Invisibles
Par «itinérance invisible», les organismes présents parlent entre autres des femmes, des jeunes et des personnes âgées qui vivent toujours de façon précaire, à la limite de l’itinérance.
«La réduction de l’itinérance chronique de moitié en dix ans, c’est un objectif louable. Ce qui pose problème, c’est ce que ça ne permet pas de financer», explique à ce sujet la coordonnatrice au RSIQ Laury Bacro.
«Il y a la réalité de la femme qui a frappé aux portes de refuges et s’est vue refuser l’accès. Il se fait tard. Elle rencontre un homme qui, en échange de son canapé, lui demande des faveurs sexuelles» – Cilvie Gingras, ex-femme sans-abris
Selon Mme Bacro, l’itinérance «demande une diversité d’actions pour être combattue», dont l’appel aux organismes locaux. «Depuis 2015, il y a eu l’imposition du modèle Housing First qui allait même à l’encontre des réalités régionales», lance la porte-parole.
Québec s’en mêle
Au mois de juin dernier, l’Assemblée nationale a adopté à l’unanimité une motion proposée par le député d’Hochelaga-Maisonneuve, Alexandre Leduc. Le texte déposé par le membre de Québec solidaire (QS) invitait le gouvernement fédéral à lancer Vers un chez-soi en respectant les cinq axes de la Politique nationale de lutte à l’itinérance, un document provincial.
«On attend le résultat. C’est important d’avoir une diversité d’action et ne pas trop se concentrer sur les chiffres», constate M. Leduc.
«Autrement, on va défaire quelque chose qui fonctionne assez bien présentement», ajoute-t-il.
Dans une lettre envoyée le 8 juillet au RSIQ, la sous-ministre adjointe à la Santé et aux Services sociaux, Lyne Jobin, a assuré que le gouvernement «comptait défendre fermement les orientations québécoises en matière d’itinérance».
Si les communications avec le gouvernement Legault «se veulent encourageantes», on ne crie pas pour autant victoire au RSIQ.
«Ce qu’on sait, c’est ce qu’il est écrit noir sur blanc sur le site du gouvernement [fédéral], et qui, mis à jour le 4 juillet, contient toujours les mêmes objectifs», avance Laury Bacro.
Pour Pierre Gaudreau, «Québec doit se tenir debout» dans ce dossier. «On doit s’assurer que les fonds fédéraux vont dans le sens de ce qu’a demandé l’Assemblée nationale. Et là, on a des inquiétudes», soutient le directeur du RAPSIM.