Le 7 mai, la Ville de Montréal a lancé l’appel à projets Agir pour la restauration locale afin de soutenir le développement d’une plateforme de promotion, de commandes et de livraisons pour les restaurants. Face à la réaction de certaines entreprises montréalaises offrant déjà le service, l’administration municipale prévoit modifier cet appel.
Le fondateur et développeur de la plateforme de commandes en ligne Pizzli, Jérémie Bergeron, a été étonné d’apprendre que cet appel à projets avait été lancé par la Ville de Montréal.
«Le premier réflexe, c’est d’être méfiant, raconte-t-il. Dans le communiqué, c’est écrit qu’il y a 500 000$ visant à mobiliser les entreprises d’économie sociale pour le développement d’une plateforme équitable et abordable. Ces mots nous ont choqués un peu. Parce qu’autant nous que nos compétiteurs québécois, on trouve qu’on est équitable et abordable.»
Le fondateur de la plateforme Restoloco, Axel Lespérance, croit aussi que c’est une mauvaise idée.
«S’ils lancent leur appli, ce sera une de plus. On se bat déjà contre des géants. Ce sera une embûche supplémentaire, au grand plaisir de UberEats, car les petits se mangent entre eux pendant que les gros profitent de leur position de leader.»
Il se demande également comment la Ville va faire pour développer un service de livraison moins cher que ceux déjà offerts par leurs partenaires comme EVA ou Les Chasseurs.
La mutualisation des forces
Depuis cette annonce, des rencontres réunissant des entreprises de commandes en ligne, ainsi que des fournisseurs de livraisons ont eu lieu. Une première rencontre d’information s’est tenue avec la Ville de Montréal et quelques autres avec la Conseil québécois de la coopération et de la mutualité (CQCM).
«On voit que leur but premier, c’est d’aider les restaurants, explique M. Bergeron. On ne peut pas être contre ça, mais est-ce qu’ils s’y prennent de la bonne façon? Est-ce que la solution, c’est de développer une autre application qui fait compétition à des entreprises québécoises qui offrent déjà des excellentes plateformes?»
Le responsable du développement économique et commercial et du design au sein du comité exécutif, Luc Rabouin, admet que l’appel à projets «était possiblement rédigé d’une manière trop restrictive en mettant toute l’emphase sur la plateforme.»
Afin d’ouvrir la porte à d’autres propositions que celle du développement d’une plateforme, l’appel à projets sera bientôt modifié et prolongé, confirme-t-il.
«On a besoin d’avoir une solution structurante, viable, solide, crédible, visible pour être capable de compétitionner et prendre une part de marché importante. Pour ça, on pense que ça passe par la mutualisation. La mise en commun des forces et des ressources.»
Réaction de l’opposition
Le porte-parole de l’opposition en matière de développement économique et commercial, Aref Salem, est choqué d’apprendre que l’appel à projets sera modifié peu de temps après son lancement.
«Ils viennent de lancer un programme et quelques jours plus tard, ils décident de reculer? Pourquoi la ville est aussi déconnectée de son milieu économique», s’insurge-t-il.
Selon l’élu d’Ensemble Montréal, la moindre des choses, c’est de rencontrer tous les acteurs du milieu avant de lancer un programme, pour connaître leurs besoins et trouver une façon de les aider.
«Pourquoi la Ville n’a pas aidé les entreprises qui existent déjà? Je pense qu’ils ont constaté l’échec de ce qu’ils ont lancé et aujourd’hui, ils sont en train de se rattraper.»
Luc Rabouin affirme que la Ville a parlé à certains acteurs avant de lancer l’appel à projets.
Si le fondateur de Pizzli indique ne pas avoir été consulté avant l’annonce, celui de Restoloco confirme pour sa part que la Ville leur a parlé pour connaitre cette entreprise, «mais j’ignore pourquoi ils n’ont pas approfondi davantage leur étude de faisabilité avant de lancer cet appel à projets».
David contre Goliath
Jérémie Bergeron n’est pas convaincu que 500 000$ soit suffisant pour se battre «contre des géants qui ont quasiment des sommes illimitées en marketing».
De plus, il a l’impression que la Ville ne souhaite pas réellement bouger sur leur idée de départ et qu’elle souhaite toujours créer une plateforme de commandes en ligne.
Si à la prochaine rencontre, il constate que la Ville s’obstine à aller dans ce sens, il affirme qu’il va se retirer du processus de consultation.
Que va faire Axel Lespérance si la Ville va de l’avant avec sa nouvelle plateforme de commandes?
«On va continuer d’innover et de grandir pendant ce temps, développer d’autres marchés et d’autres villes. En fait, c’est ce que tous nos compétiteurs locaux vont faire : aller ailleurs comme à Québec, Ottawa et Toronto, en laissant tomber peu à peu le marché de Montréal.»
Il est tout de même prêt à donner la chance au coureur et se dit enthousiaste que la Ville soit ouverte à modifier son appel à projets et à travailler avec des entreprises déjà en place.