MONTRÉAL – L’Unité permanente anticorruption (UPAC) a arrêté mercredi un ancien dirigeant du Centre universitaire de santé McGill (CUSM) et émis des mandats d’arrestation contre quatre autres présumés acteurs du scandale financier du CUSM.
La Sûreté du Québec a en effet arrêté Yanaï Elbaz, l’ancien bras droit de l’ex-directeur général du CUSM, le docteur Arthur Porter. M. Elbaz comparaîtra jeudi au Palais de justice de Montréal.
Le docteur Porter, lui, est au nombre des suspects recherchés, de même que l’ex-président-directeur général de SNC-Lavalin, Pierre Duhaime, l’ancien vice-président de la firme de génie, Riadh Ben Aïssa, ainsi que Jeremy Morris, un administrateur de la société Sierra Asset Management, qui aurait servi d’entremetteur pour les tractations illégales entre les dirigeants de SNC et ceux du CUSM.
Parmi les 24 chefs d’accusation portés contre ces individus figurent notamment ceux de fraude, de complot pour fraude, de fraude envers le gouvernement, d’abus de confiance et de recyclage des produits de la criminalité.
Dans les cas de Pierre Duhaime et Riadh Ben Aïssa, l’UPAC précise qu’ils font l’objet de nouvelles accusations criminelles qui ont été autorisées par le Bureau de lutte à la corruption et à la malversation.
Pierre Duhaime avait été interpellé en novembre 2012 et a comparu le 11 février dernier pour être formellement accusé de fraude, de complot pour fraude et de production de faux documents en lien avec le contrat de plus de 1,3 milliard $ pour la construction du nouveau campus du CUSM. Sa prochaine comparution a été fixée au 23 mai.
Il avait été relevé de ses fonctions chez SNC-Lavalin en mars 2012, après qu’une vérification indépendante eut révélé qu’il avait approuvé des versements douteux à des agents non identifiés pour une somme totale de 56 millions $. L’entreprise avait alors qualifié son soudain départ de «retraite».
La direction de SNC-Lavalin lui avait octroyé une prime de départ de 5 millions $. Bien qu’aucune des allégations contre l’ancien dirigeant n’ait été prouvée en cour, SNC-Lavalin a déclaré avoir suspendu les versements de cette prime de départ en décembre dernier, peu après son arrestation par l’UPAC.
Riadh Ben Aïssa, quant à lui, est présentement détenu en Suisse sous des accusations de corruption, d’escroquerie et de blanchiment d’argent relativement à des projets en Afrique du Nord.
Une déclaration écrite sous serment de la Gendarmerie royale du Canada indique que Ben Aïssa aurait notamment versé 160 millions $ en pots-de-vin au fils du défunt dictateur Mouammar Kadhafi pour l’obtention de lucratifs contrats en Libye.
Quant à Arthur Porter, aux dernières nouvelles, il dirigeait une clinique aux Bahamas.
Il est actuellement poursuivi par le CUSM qui lui réclame 300 000 $, soit le solde impayé d’un prêt et des salaires versés en trop. Il a également été sévèrement blâmé pour les déficits accumulés par l’institution sous son administration et qui ont failli mener à une mise en tutelle en décembre dernier par Québec.
De plus, un peu avant de démissionner de la direction du CUSM en 2011, il avait également été forcé de démissionner de son poste de président de Comité de surveillance des activités de renseignement et de sécurité (CSARS) où il avait été nommé cinq ans plus tôt par le premier ministre Stephen Harper.
Son départ était survenu après qu’un quotidien eut révélé qu’il avait conclu une entente de 120 millions $ qui aurait permis à une société qui lui appartenait de mener des projets d’infrastructures dans son pays natal, le Sierra Leone, entente négociée par l’intermédiaire d’un homme lié aux services d’espionnage israéliens.
Le médecin a réagi en disant «surpris et en colère» d’apprendre l’existence d’un mandat d’arrêt canadien par l’intermédiaire des médias. «Depuis que j’ai quitté Montréal en 2011, j’ai fait l’objet d’allégations scandaleuses dans les médias. Je n’ai cependant jamais été contacté par les autorités montréalaises, québécoises ou canadiennes en lien avec ce dossier ou toute autre affaire», a-t-il dit par courriel.
Quant à la firme Sierra Asset Management, à laquelle est lié Jeremy Morris et qui aurait servi d’intermédiaire pour les présumées tractations illégales entre les dirigeants de SNC Lavalin et ceux du CUSM, celle-ci se trouve également aux Bahamas. Selon le quotidien Globe and Mail, ses locaux sont à la même adresse qu’une succursale bancaire suisse avec laquelle Arthur Porter a déjà reconnu faire affaire.
Selon les mandats d’arrestation émis à l’endroit des cinq hommes, Pierre Duhaime et Riadh Ben Aïssa auraient notamment offert des sommes et des bénéfices à Arthur Porter et Yanaï Elbaz pour obtenir le contrat de construction du super hôpital universitaire anglophone montréalais, avec Jeremy Morris servant d’intermédiaire.
Pierre Duhaime, qui a une adresse au Québec, n’avait pas encore été appréhendé mercredi. Cependant, comme il doit revenir devant la cour le 23 mai, les nouvelles accusations pourraient n’être portées qu’à ce moment.
La présence d’Arthur Porter et Jeremy Morris aux Bahamas et de Riadh Ben Aïssa en Suisse représente toutefois un obstacle additionnel pour les policiers.
«Pour eux (Porter et Morris), il y a des procédures d’extradition qui sont en cours, a expliqué la porte-parole de l’UPAC, Anne-Frédérick Laurence. Avec la Suisse, il y a des procédures d’entraide internationale qui sont différentes d’avec les Bahamas.»
SNC-Lavalin a diffusé un bref communiqué en mi-journée, indiquant que la société «a coopéré et continuera de coopérer pleinement avec les autorités».
La firme de génie rappelle qu’elle a remis les renseignements pertinents aux autorités et ajoute qu’«aucun comportement non éthique ou actes illégaux ne doivent être tolérés», ajoutant que l’entreprise croit que «quiconque est réputé avoir commis un délit lié à une enquête doit être traduit en justice».
De son côté, le CUSM a également diffusé un communiqué dans lequel le président du conseil d’administration, Claudio Bussandri, réitère que «si des actes illégaux ont été commis, les individus concernés devraient être poursuivis».
M. Bussandri ajoute que l’institution suit la situation de près et n’hésitera pas à intenter des poursuites judiciaires additionnelles si elle le juge à propos et promet, elle aussi, de collaborer avec les autorités.
Enfin, Michael Sabia, grand patron de la Caisse de dépôt et placement du Québec, qui détient plus de cinq pour cent des actions de SNC-Lavalin, a reconnu que l’entreprise vivait «une période incroyablement difficile» et qu’elle devait poursuivre son «nettoyage».
Mais comme la Caisse voit «beaucoup de potentiel» dans SNC, elle continuera d’y investir, a ajouté M. Sabia lors de la conférence de presse tenue pour commenter les résultats 2012 de l’institution.
Les investisseurs n’ont pas fait grand cas de cette nouvelle tuile pour SNC. L’action de la firme a reculé mercredi de 4 cents pour clôturer à 47,13 $ à la Bourse de Toronto.