Dans une mise au point publiée mardi, l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM) s’oppose au Réseau express métropolitain (REM) de l’Est, notamment parce qu’elle considère que le projet entraînera peu de nouveaux usagers du transport collectif.
Les constats de l’ARTM sur les impacts négatifs du REM de l’Est ont d’abord été révélées dans La Presse. Le porte-parole de l’ARTM, Simon Charbonneau, explique que le document a coulé. «Prenant acte des informations qui ont filtré publiquement, l’ARTM a émis un communiqué ce matin», précise-t-il.
Les constats dévastateurs de l’ARTM
Après avoir examiné attentivement le projet dans le cadre de sa mission de planification du transport collectif dans la grande région de Montréal, l’ARTM formule plusieurs constats dévastateurs.
Selon son analyse, le projet du REM de l’Est ne répond que partiellement aux besoins des résidents de l’est de l’île et de la couronne nord-est. En effet, seulement 12% des déplacements, dans les secteurs qui seront desservis par le projet, se destinent au centre-ville.
L’ARTM affirme que le projet n’entraînera qu’un nombre modeste de nouveaux usagers du transport collectif. En période de pointe, 94% de l’achalandage du REM de l’Est sera simplement enlevé aux services existants, comme la ligne verte du métro et le train de Mascouche. «En d’autres termes, le projet pose un enjeu de concurrence problématique avec deux importants services du réseau structurant existant, lesquels disposeront toujours de capacité résiduelle à l’horizon 2031», explique-t-on.
Au-delà de l’investissement à proprement parler, l’ARTM estime que le projet aura un impact significatif sur le financement du transport collectif de l’ensemble de la région métropolitaine. «Il pourrait entraîner une hausse des contributions des municipalités d’environ 98 M$ par année, incluant une charge financière supplémentaire pour les collectivités desservies par le train de Mascouche», prévient-on.
De plus, l’avis mentionne que l’intégration et l’insertion urbaine des infrastructures aériennes du projet représentent un défi majeur. À cet égard, des citoyens vivant dans le secteur où seraient construites les structures aériennes ont déjà manifesté leurs préoccupations malgré la modification du tracé.
L’ARTM a fait part de ses conclusions au gouvernement du Québec. L’avis de l’ARTM porte sur le projet de référence annoncé le 15 décembre 2020. Il sera, si nécessaire, amendé au fil de l’évolution du projet.
CDPQ Infra n’imposera pas le projet
Appelé à réagir, CDPQ Infra affirme qu’il n’imposera pas le REM de l’Est. La filiale de la Caisse de dépôt et placement du Québec en charge du projet affirme n’avoir jamais été mis à contribution dans la rédaction du rapport de l’ARTM malgré des échanges fréquents depuis septembre 2019.
«Nous avons été informés jeudi dernier de l’existence de ce rapport et prendrons le temps de répondre point par point. Nous sommes convaincus que l’Est de la métropole mérite un réseau de transport collectif de grande qualité, affirme le directeur des communications, Jean-Vincent Lacroix.
La directrice générale de l’organisme Trajectoire Québec, Sarah V. Doyon, pense que l’ensemble des parties prenantes doivent prendre un «pas de recul» et retourner à la table à dessin afin de revenir avec un projet qui répond réellement aux besoins des usagers.
Elle entend par là que le REM de l’Est se doit d’être complémentaire par rapport au réseau déjà existant. Or, le tracé actuel est en parallèle avec celui de la ligne verte du métro. «Pourquoi on met un mode lourd de transport collectif en compétition avec un autre mode lourd de transport collectif?», demande Mme Doyon.
Mais l’organisme ne souhaite pas du tout l’abandon du projet. «Je pense qu’on va perdre collectivement si on se ramasse sans projet. Il y a des besoins en transport collectif dans l’est et dans le nord de Montréal. Il faut donc qu’on réussisse à sauver le projet», poursuit Sarah V. Doyon.
Québec veut aller de l’avant
Le cabinet de la ministre déléguée aux Transports et la ministre responsable de la Métropole et de la région de Montréal, Chantal Rouleau, indique avoir la «ferme intention» d’aller de l’avant avec le REM de l’Est.
Selon l’attachée de Mme Rouleau, Catherine Boucher, ce projet ambitieux de 10 G$ est essentiel «pour donner enfin à l’est de Montréal un réseau de transport collectif digne de ce nom». Elle ajoute qu’il aura des impacts majeurs pour le développement économique et social de l’est de Montréal. «On n’abandonnera pas l’est de Montréal, qui a été trop longtemps négligé», poursuit-elle.
Appelée à réagir sur l’avis émis par l’ARTM, Chantal Rouleau martèle en entrevue avec Métro que le «document de travail ne tient pas compte de la vision de développement que nous avons pour l’est de Montréal, de la faiblesse actuelle du transport collectif, et de notre volonté très forte de vouloir corriger la situation».
Questionnée sur la possibilité que le REM soit revu en lumière des analyses de l’ARTM, Mme Rouleau demande plutôt à l’ARTM de «retourner à la table de dessins».
D’ailleurs, la députée de Pointe-aux-Trembles remet en question plusieurs chiffres avancés par l’ARTM. Par exemple, le calcul indiquant que le projet n’attirerait que 2100 automobilistes vers le transport collectif, indiquant que les analyses faites pour le REM de l’Ouest ou le tramway de Québec évaluaient un transfert modal beaucoup plus élevé.
«Il y a quelque chose qui ne marche pas. […] Je ne dénigre pas l’ARTM comme telle. Mais je dis que ce travail-là a été bâclé. Ça porte préjudice à un projet qui est extrêmement important pour l’est de Montréal, et qui suscite une très grande mobilisation», a-t-elle affirmé.
La Ville veut étudier l’avis, l’Opposition l’accuse d’abandonner
De son côté, la Ville de Montréal souhaite également la réalisation d’un projet de transport structurant dans l’est de Montréal. «Le REM est le plus important projet de transport collectif depuis une décennie et il doit être évalué en bonne et due forme», indique l’attachée de presse du comité exécutif de la Ville Marikym Gaudreault.
Elle mentionne que l’administration de la Ville compte demander à ce que l’avis réalisé par l’ARTM lui soit présenté.
«La mairesse a rencontré des représentants du gouvernement du Québec et de la CDPQ vendredi et a réitéré trois conditions de réussite du projet qui doivent se réaliser, soit une gouvernance permettant à la Ville de jouer pleinement son rôle en ce qui a trait à l’intégration du projet au centre-ville et dans les quartiers traversés, un projet intégrant le volet aménagement au même titre que le volet transport et un financement assuré par Québec pour les aménagements qui permettront une intégration urbaine exemplaire», ajoute-t-elle.
En marge d’une conférence de presse, le chef de l’Opposition officielle à l’Hôtel de Ville de Montréal, Aref Salem, a réagi à la nouvelle. Il pense que Valérie Plante, qui siège sur le conseil d’administration de l’ARTM, abandonne le projet. «On ne va pas me faire croire que la mairesse n’a pas eu écho de ce rapport là ou qu’elle n’a pas eu une présentation de ce rapport-là? Aujourd’hui, on vient de voir la mairesse laisser tomber le projet», a-t-il déclaré.
Si Mm Plante dit vouloir étudier le rapport de l’ARTM, Aref Salem est d’avis qu’elle est déjà bien aux faits des impacts du projet du REM de l’Est.
Ensemble Montréal considère que le REM est un projet essentiel pour la revitalisation de l’Est. «On sait tous depuis longtemps que l’Est de Montréal a besoin de beaucoup d’amour. Et ce projet structurant de presque 10M$ vient donner beaucoup d’amour et beaucoup de vie écononomique dans ce quartier-là», a-t-il dit.
En collaboration avec Jason Paré et Coralie Hodgson.