Depuis 15 ans, le bâtiment situé au 4651-4657 rue Saint-André est inhabité. Et il décrépit. Des citoyens se mobilisent, interpellent les élus, qui disent être tenus «en otage». Mais la bâtisse n’appartient pas à la Ville, elle appartient à un particulier. En pleine crise du logement, que peuvent faire citoyens et municipalités pour rendre ces potentiels immeubles à logement exploitables?
C’est «toute la rue» qui aimerait voir l’immeuble rénové, reconstruit ou démoli. Peu importe, dit Sophie, une voisine, «pourvu qu’on en fasse quelque chose d’autre. Ça pourrait être des logements sociaux!». Le propriétaire de l’immeuble désaffecté, lui, ne vient jamais dans le coin, dit Sylvie, une autre voisine.
Stevens Coulombe est propriétaire et gestionnaire d’un portefeuille immobilier de plusieurs centaines d’unités au Québec. En 2017, il s’est vu refusé un permis de démolition pour cet immeuble. Le bâtiment avait des «propriétés architecturales intéressantes», dit l’attaché de presse du Plateau-Mont-Royal, Julien Deschênes.
À part les pierres de la bâtisse, je ne vois pas comment la situation actuelle du bâtiment met en valeur l’architecture. Et ça fait des années que c’est comme ça.
Sylvie, une voisine.
L’état du bâtiment, dont le zonage permettrait 2 à 3 logements, se dégrade. L’administration du Plateau Mont-Royal dit faire ce qu’elle peut. Elle dit y envoyer des inspecteurs pour s’assurer que la bâtisse est sécuritaire et que personne n’y «squat». Elle a remis un montant total de 5421 $ en constat d’infraction au propriétaire alors que son immeuble ne respectait pas les règlements municipaux.
Les bâtiments vacants sont des créatures fiscales. S’ils sont laissés vacants, c’est parce que c’est payant.
Adam Mongrain, directeur d’habitation de Vivre en ville.
Les voisins jugent la situation dangereuse et mal contrôlée. Malgré les visites d’inspecteurs, des personnes se l’accaparent. «On est surtout inquiet pour les feux», disent les voisines. Sophie raconte que «des briques tombent souvent de la bâtisse». Récemment, sa fille en a presque reçu une sur la tête. Les barrières entourant l’immeuble sont facilement déplaçables et des jeunes s’y faufilent facilement. Elles rendent la ruelle «très active» et impraticable.
Les bâtiments délabrés et abandonnés sont nombreux à Montréal. Selon le directeur habitation de Vivre en ville, Adam Mongrain, les mécanismes que peuvent employer les municipalités ne permettent pas des interventions structurantes permettant de réhabiliter un immeuble vacant ou sous-utilisé.
Les résidents de ce quartier familial envoient régulièrement des courriels à la Ville, et l’interpellent sur les réseaux sociaux. Mais elle a «les mains liées», surtout lorsqu’elle n’est pas propriétaire de l’immeuble laissé vacant en question, dit M. Mongrain.
Quelles options pour le 4651-4657 Saint-André?
Avec les réglementations provinciales actuelles, il est difficile pour Montréal d’intervenir. Un projet de loi – le PL16 – modifiant la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme est étudié en commission parlementaire. Le directeur d’habitation de Vivre en ville souhaite qu’à l’adoption de ce projet de loi, les municipalités aient plus de flexibilité sur ce qu’elles ont le droit d’acheter, de faire, et comment elles peuvent intervenir.
«Une des choses les plus intéressantes que j’ai vue à ce niveau-là est ce qui est fait dans la ville de Joliette», dit M. Mongrain. Cette municipalité a mis sur pied un registre de salubrité. Avec l’aide d’inspecteurs municipaux, l’administration est capable de «suivre la santé des bâtiments» et les contrevenantes aux règlements municipaux par les propriétaires.
Ainsi, un suivi «beaucoup plus serré» et des amendes «beaucoup plus intéressantes» servent davantage qu’un encadrement fiscal. Car quand de tels encadrements sont mis en place en visant des cas spécifiques, «on attrape souvent d’autres choses dans le filet», créant ainsi d’autres règlements imparfaits.
Évidemment, un tel registre nécessiterait beaucoup de ressources, surtout pour une grande ville, dit Adam Mongrain, «mais ça a quand même un bon potentiel pour réhabiliter le stock».
Une avenue intéressante, toujours selon M. Mongrain, serait d’imposer une réglementation différenciée qui permettrait de donner un avantage compétitif aux organismes sans but lucratif. Donner l’avantage du marché à des organismes comme Entremise, qui permettent de faire de l’occupation transitoire d’espaces laissés à l’abandon, permettrait d’exploiter les terrains comme celui au coin de Saint-André et Bienville.
Pour cela, il faudrait de nouvelles réglementations municipales, mais aussi provinciales permettant des «ententes passerelles» entre les propriétaires et d’autres tiers. Car lorsqu’on observe que des immeubles sont laissés vacants, c’est souvent parce que le marché ne punit pas ces comportements.
Du côté de l’Arrondissement du Plateau Mont-Royal, Julien Deschênes dit que des avenues visant à contraindre le propriétaire à agir sont explorées avec les affaires juridiques, mais ne peut en dire plus, puisque ces discussions sont confidentielles. M. Coulombe n’a pas répondu aux demandes d’entrevues envoyées par Métro.
La Ville aurait eu des «discussion» avec ce propriétaire «qui ne coopère pas du tout», dit M. Deschênes. La Ville et M. Coulombe auraient exploré un «possible projet de rénovation» ainsi qu’une possible vente de l’immeuble. «Aucune de ces deux pistes ne fut concluante», dit l’attaché de presse des élus du Plateau. Aucun projet officiel n’aurait été déposé à l’arrondissement.