Chaque mardi, la journaliste et animatrice Julie Laferrière et l’humoriste, animateur et illustrateur Pierre Brassard posent un regard original sur les usagers du transport en commun.
Ligne bleue, direction Snowdown. Nous sommes jeudi, il est 8h50.
«Tout acte manqué est un discours réussi». Ce n’est pas de moi, mais de Jacques Lacan. Celui-là même qui est à l’origine de l’ouvrage dans lequel la jeune fille assise en face de moi a le nez et l’esprit enfouis. Elle fronce les sourcils et annote des pages.
Elle a l’âge pour être à l’université ou pour avoir entrepris une psychanalyse. Les deux peut-être?
Peu importe ce qui peut motiver sa lecture ou sa démarche, elle semble totalement absorbée par les mots ainsi que par ce qu’elle découvre entre les lignes du psychiatre et psychanalyste français.
Le métro se remplit et les passagers s’entassent, chacun avec son univers conscient et inconscient. Tous ces individus traverseront leur journée avec leurs réflexes, leurs défenses, leurs forces et leurs défis. Certains, plus avertis, sauront peut-être se déjouer eux-mêmes. D’autres auront des sentiments de déjà-vu et passeront à autre chose, sans s’en formaliser.
Je reviens à la lectrice qui est toujours absorbée et suis admirative devant sa concentration. Pouvoir ignorer le mouvement autour de soi est une force que j’envie. J’ai le focus d’une perruche. Il faudrait peut-être que je me questionne pour savoir d’où ça vient…
Nous passons la station Édouard-Montpetit. L’instinct de la lectrice la pousse à se détacher de son livre. Elle lève la tête et réalise alors qu’elle a raté son arrêt. Voilà le prix à payer quand on se coupe du monde extérieur, me dis-je avec beaucoup de mauvaise foi.
Elle range doucement Lacan dans son sac, se lève calmement et se planque devant la porte en attendant le prochain arrêt.
Je peux voir, dans le reflet que renvoie la vitre, qu’elle sourit. Peut-être, pense-t-elle, que ce n’est pas parce qu’un arrêt est manqué que le trajet n’est pas réussi.