Ses têtes d’affiche sont inspirantes. Il s’agit de leaders d’opinion dans leurs domaines respectifs. On sait déjà à peu près ce qu’ils pensent. D’ailleurs, ils émettent d’emblée une série de constats: de moins en moins de personnes se sentent représentées par le mode de scrutin actuel, il existe un phénomène de racisme systémique, le temps d’attente aux urgences est inacceptable et le privé n’est pas la solution, etc. Et pour peu qu’on se situe légèrement à gauche sur l’échiquier politique, on les suivrait avec les solutions qu’ils ont à proposer.
Mais les cinq représentants du projet «Faut qu’on se parle» ont plutôt décidé d’aller à la rencontre des Québécois dans le cadre d’une vaste consultation publique. «Pas question d’entendre des conférenciers parler pendant des heures: c’est vous qu’on veut entendre», disent-ils. La démarche est tout à leur honneur, mais est-ce vraiment ce dont le Québec a besoin? Au-delà de la politique partisane, il existe déjà des tas de plateformes de discussion au Québec : qu’on pense à Génération d’idées, aux Orphelins politiques, aux forums jeunesse ou à l’Institut du Nouveau Monde. Ces espaces de discussion génèrent presque autant d’idées que de candidats politiques. Des idées à gauche, des idées à droite et, surtout, des idées au centre, parce que c’est au centre qu’on trouve le plus souvent des consensus, ce qui est correct aussi. Mais les expertises n’ont-elles pas encore une valeur?
Le Dr Alain Vadeboncœur est urgentologue. Il réfléchit à la question des soins de santé depuis des décennies. Il connaît un peu ça. Mieux que moi, mieux que beaucoup de gens. Ce sont ses solutions qu’on aimerait entendre. Maïtée Labrecque-Saganash milite pour les droits des Premières Nations. Est-on vraiment curieux de savoir ce que des Blancs qui se sentent aussi «un peu Indiens» au fond d’eux-mêmes ont à lui proposer pour réparer les torts causés par les pensionnats autochtones? Gabriel Nadeau-Dubois se penche sur l’accès à l’éducation au moins depuis qu’on le connaît. Il a consacré des études de deuxième cycle à la question*. Difficile de l’imaginer simplement «écouter» des gens dire que les étudiants sont des bébés gâtés qui se plaignent le ventre plein. Parce que si on décide d’écouter ce que le Québec a à dire, c’est aussi ces gens-là qu’on va écouter, non?
Le déficit démocratique est bien réel. La population, qui a certainement des solutions très légitimes à proposer, ne se sent visiblement pas écoutée, et il est tout à fait louable d’aller à sa rencontre. Mais espérons que ces assemblées de cuisine 2.0 serviront aussi à convaincre. Parce que le Québec n’a peut-être pas tant besoin de jaser qu’il a besoin de leadership.
*Correctif: On me glisse à l’oreille que Gabriel Nadeau-Dubois ne travaille pas sur l’accès à l’éducation, mais plutôt sur un livre d’Axel Honeth sur les transformations de l’État.