Nous étions réunies entre femmes, voire entre féministes, pour visionner en primeur au Québec Nelly, film librement inspiré de la vie de Nelly Arcan. Était-ce une stratégie de la production pour nous mettre dans sa poche? Une façon de parer les critiques féministes avant les critiques de cinéma? Ou une occasion de nous réunir dans un lieu protégé pour discuter de ce sujet délicat: le suicide d’une femme devenue icône tragique du féminisme?
Quoi qu’il en soit, ça ne nous aura pas empêchées de nous demander entre femmes ce que les hommes penseront de ce film qui peut donner l’impression de les dépeindre sévèrement. Nous en avons discuté pendant dix minutes, jusqu’à ce que l’une d’entre nous s’exclame: «Fuck eux!» C’est de nous qu’il est question dans ce film.
La réalisatrice Anne Émond réussit, par fragments, à capter l’essence de cette femme aux visages multiples. «Quand j’interrogeais les gens qui l’ont connue, j’avais l’impression qu’on me parlait toujours d’une femme différente», explique-t-elle. C’est donc la Nelly enfant, la Nelly écrivaine, la Nelly putain et la Nelly folle qui sont brillamment incarnées par Mylène Mackay – et Milya Corbeil-Gauvreau – comme autant de facettes de cette Nelly toujours un peu brisée. La Nelly donnée en pâture aux médias, elle, est sobrement évoquée par une Nelly starlette qui finira par s’effondrer sur une scène.
Ce film sur Nelly Arcan, c’est un peu un film sur toutes les femmes, et c’est peut-être ce qui explique le rapport ambivalent que plusieurs d’entre nous, dont Anne Émond, entretenaient avec elle de son vivant. La liberté, la sexualité, la fragilité de Nelly nous dérangeaient. Elle est probablement devenue cette héroïne féministe sacrifiée parce qu’elle incarnait bien malgré elle toutes nos névroses, toutes nos obsessions, conscientes et inconscientes. Si toutes ne se reconnaissent pas dans l’obsédée séductrice qu’elle était, aucune ne peut rester indifférente à ses doutes, à ses insécurités, à son désir d’être aimée. Aucune d’entre nous n’échappe aux jugements portés sur nos corps, qu’on parvienne ou non à s’en affranchir. Et c’est peut-être dans cette communauté d’esprit et d’expérience que se trouvait, au bout du compte, l’intérêt de nous réunir.
Nelly est un film réussi qui, tout en échappant à la tentation d’expliquer ce qui s’est passé – quête insoluble –, parvient tout de même à dessiner une analyse impressionniste qui rend tout plus clair. On en ressort avec le sentiment d’avoir collectivement échappé cette femme prisonnière de ses obsessions.
Dimanche soir, Madonna, une icône d’un autre genre, a reçu le prix de femme de l’année lors de la soirée Billboard Women in Music. Dans un discours magistral qu’elle a prononcée les jambes bien écartées, comme pour se donner une contenance, elle a dénoncé la misogynie qu’elle a pu observer tout au long de sa carrière. Comme celle de Nelly, l’image de Madonna a été scrutée, analysée, critiquée, adulée, vilipendée. Contrairement à Nelly, Madonna a survécu au traitement médiatique réservé aux femmes qui ne rentrent pas dans le rang. Mais à quel prix?