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Les pionniers méconnus de l’indépendantisme

Nice winter day with snow and trees of Quebec, eastern Canada.

Il y a 60 ans naissait l’Alliance laurentienne, un des premiers mouvements indépendantistes modernes du Québec. À cause de son côté catholique et de ses vues traditionalistes, le mouvement créé par Raymond Barbeau a tranquillement été écarté du paysage politique et est aujourd’hui méconnu.

«L’Alliance laurentienne a réveillé l’ancien volcan du nationalisme indépendantiste qui était endormi depuis une vingtaine d’années, explique l’historien et conservateur au Musée canadien de l’histoire, Xavier Gélinas. Le mouvement actuel doit beaucoup à Raymond Barbeau, mais on ne le reconnaît pas, parce qu’on ne le connaît pas.»

Si l’idée de nationalisme n’était pas nouvelle en 1957, la notion d’un État territorial pour les Canadiens français, nommé Laurentie, était, elle, inédite. «C’était l’État des Canadiens français, et non une nation avec une communauté anglophone, comme on peut le concevoir aujourd’hui», précise le bibliothécaire à l’Université de Montréal Éric Bouchard, qui a rédigé son mémoire de maîtrise sur l’Alliance laurentienne.

Grâce à sa revue Laurentie et à ses qualités d’orateur, M. Barbeau réussit à gagner des partisans, et son mouvement, qui n’est pas un parti politique à proprement parler, durera pendant plus de cinq ans. «Il avait un public très jeune, étudiant. Il était chargé de cours à HEC, qui était une institution plutôt nationaliste à l’époque», relate M. Bouchard. Le jeune leader, qui a 26 ans en 1957, accouchera même d’une constitution avec un régime présidentiel pour la Laurentie.

Toutefois, ses idées très traditionalistes – l’association entre l’État et la religion catholique, par exemple – nuiront à Raymond Barbeau. «Il est corporatiste, ajoute M. Bouchard. Il veut créer une chambre où les corps de métier sont représentés, comme dans des régimes fascistes. Dans l’après-guerre, ça fait tache. Il porte beaucoup trop flanc à la critique.»

«Ce qu’on doit à Raymond Barbeau, c’est la légitimité de l’indépendantisme. Aujourd’hui, c’est une opinion politique qui est considérée comme respectable; avant l’Alliance laurentienne, ce n’était pas le cas.» –Xavier Gélinas, historien et conservateur au Musée canadien de l’histoire

«C’était un homme radical, souligne pour sa part M. Gélinas. Il n’était pas souple dans ses idées. Les gens qui étaient d’accord avec l’idée d’indépendance, mais pas avec les autres idées de Barbeau, voulaient de l’air frais. Ils ont donc fondé le Rassemblement pour l’indépendance nationale (RIN).»
Six membres de l’Alliance laurentienne feront partie des fondateurs du RIN, un parti politique indépendantiste, qui virera peu à peu à gauche. «Au milieu des années 1960, il n’y avait plus beaucoup de place pour un mouvement à la fois conservateur et indépendantiste, puisqu’il y avait une vague mondiale des idées de gauche», rappelle Xavier Gélinas.

Pour Éric Bouchard, si le discours identitaire de l’Alliance laurentienne n’a pas trouvé d’écho dans les partis plus récents, c’est à cause de l’idée de multiculturalisme qui a marqué les années 1970. «La génération de René Lévesque et de Pierre-Elliott Trudeau était plus ouverte sur le monde, et ç’a donné le Canada multiculturel qu’on a aujourd’hui, affirme l’historien. Le Québec ne donne pas d’identité particulière à la majorité francophone. Les Québécois, c’est plus que ces gens-là.»

Et aujourd’hui?
Peut-on associer certains mou­vements identitaires actuels aux idées de Raymond Barbeau? «Des tenants d’une nation canadienne-française, il n’y en a plus beaucoup, juge Éric Bouchard. Ce qui reste, ce sont des gens qui préconisent de ne pas perdre l’héritage canadien-français.»

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