MONTRÉAL — L’impôt ne serait pas si neutre qu’on pourrait le croire par rapport aux sexes; il cacherait des réalités campées dans les rôles traditionnels des hommes et des femmes.
Certaines mesures fiscales sont plus favorables aux hommes, alors que d’autres sont plus avantageuses pour les femmes.
Ces constatations ressortent d’une étude réalisée par la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke, par le professeur Luc Godbout et les professionnelles de recherche Carole Vincent et Suzie St-Cerny.
L’étude, intitulée «Utilisation des mesures fiscales au Québec: une analyse différenciée selon le sexe», s’est penchée sur 25 mesures fiscales, afin de savoir à qui elles profitent le plus et de quelle façon.
Théoriquement, l’impôt est neutre, en ce sens qu’il s’applique pareillement aux hommes et aux femmes, en fonction de leurs revenus. Sauf que la réalité est plus complexe.
«On conclut que la fiscalité n’est pas neutre par rapport aux sexes. On est capable de conclure ça, parce qu’en examinant les 25 mesures fiscales, et l’utilisation que les hommes et les femmes en font, on montre que ce n’est pas neutre par rapport aux sexes. Ce qu’on ne peut pas conclure, c’est « est-ce que le régime d’impôt québécois discrimine envers ces femmes? » Ça, ça ne nous permet pas de conclure ça», a résumé Mme Vincent, au cours d’une entrevue des trois chercheurs avec La Presse canadienne, jeudi.
«Il y a des mesures qui semblent exacerber certaines inégalités, mais il y en a d’autres qui peuvent les diminuer. Quand on parle de crédits d’impôt remboursables, par exemple, quand on parle du changement au niveau des politiques pour les enfants; ça s’est fait à l’avantage des femmes; donc ça va augmenter leur autonomie financière. Mais c’est certain que ça va aussi augmenter les stéréotypes (voulant) que ce sont les femmes qui s’occupent des enfants», fait valoir Mme St-Cerny.
Favorables aux hommes
Les mesures fiscales qui sont plus favorables aux hommes sont celles qui ont trait à l’emploi et à l’accumulation de richesse, révèle l’étude.
La déduction pour dépenses d’emploi, qui concerne les travailleurs de métiers — pour l’achat d’outils pour le travail, par exemple — leur est plus favorable. Les hommes représentent 49 pour cent des contribuables, mais 63 pour cent de ceux qui s’en sont prévalus.
De même, les hommes bénéficient également davantage des mesures qui touchent les dividendes, les gains en capital, les sommes investies dans les Régimes enregistrés d’épargne-retraite (REER), de même que le crédit d’impôt pour travailleur d’expérience.
Favorables aux femmes
Les mesures qui sont plus favorables aux femmes sont celles qui permettent de compenser pour la présence d’enfants ou qui visent à soutenir les personnes vulnérables, qu’il s’agisse de vulnérabilité en raison de l’âge ou de vulnérabilité économique, notent les chercheurs.
Par exemple, le crédit pour maintien à domicile des aînés, qui compense pour certaines dépenses encourues par des personnes de 70 ans et plus, favorise davantage les femmes.
Cela s’explique par deux motifs: elles ont une plus grande longévité que les hommes et, comme le crédit est calculé en fonction du revenu et qu’elles ont des revenus moindres par rapport aux hommes, elles ont droit à un montant plus élevé, explique l’équipe de chercheurs.
Parmi les autres mesures favorables aux femmes, on trouve les crédits d’impôt pour revenu de retraite — comme les montants en raison de l’âge et pour personne vivant seule — et les mesures fiscales de soutien aux enfants.
«Il n’est pas rare dans les ministères des Finances de conclure que ‘la mesure s’applique tant aux hommes qu’aux femmes, donc il n’y a pas de problèmes de genres dans l’analyse’. Sauf que si on met la mesure en déduction, elle profite plus aux revenus élevés qu’aux revenus faibles, donc, de facto, elle a un effet davantage chez les hommes que chez les femmes», conclut le professeur Godbout.
La solution? «La première chose à faire, pour le gouvernement, c’est d’avoir les données qui permettent de faire l’analyse différenciée selon les sexes, les revenus et d’autres éléments», suggère M. Godbout.
L’analyse différenciée selon les sexes est un processus d’analyse qui permet d’évaluer les effets distincts sur les hommes et les femmes de différentes mesures, afin de promouvoir ultimement l’atteinte de l’égalité.