QUÉBEC — Avant de tuer six personnes à la grande mosquée de Québec, Alexandre Bissonnette a consulté à 201 reprises des sites internet au sujet du suprémaciste blanc Dylann Roof, qui a abattu neuf Noirs dans une église de Charleston, ainsi que des vidéos de Marc Lépine.
Le meurtrier a aussi effectué de nombreuses recherches sur les tueries de masse et pris des informations sur la fusillade de Columbine, a révélé le procureur Thomas Jacques, vendredi.
C’est pourquoi les vidéos de la tuerie de la mosquée ne doivent jamais être diffusées, puisqu’elles pourraient inspirer d’autres massacres, ont renchéri deux témoins experts devant la Cour supérieure.
La Couronne cherche à tout prix à empêcher la diffusion des vidéos du 29 janvier 2017, et ainsi bloquer une demande d’un consortium de sept médias, qui inclut Québecor, La Presse et Radio-Canada.
Elle a fait témoigner la Dre Cécile Rousseau, experte en psychiatrie transculturelle, radicalisation et polarisations sociales, qui a déclaré que la diffusion des vidéos comportait trois grands risques: la retraumatisation, la contagion (effet «copycat») et l’utilisation malveillante pour des fins de propagande.
Rendre publiques les vidéos de l’attentat perpétré par Bissonnette ne ferait qu’aggraver les souffrances des familles des victimes, de la communauté musulmane et de tout le Québec, en plus de glorifier Bissonnette aux yeux des désespérés et vulnérables, a-t-elle signifié à la cour.
«Est-ce vraiment utile au bien public et à notre société?», a-t-elle demandé.
Selon la Dre Rousseau, il ne fait aucun doute que les vidéos seraient exploitées d’un côté par les groupes d’extrême droite, qui incitent à la haine contre les musulmans, et de l’autre, par les groupes radicaux comme Daech (le groupe armé État islamique), qui veulent convaincre les jeunes que l’Occident les discrimine.
Pour sa part, l’expert en criminologie, radicalisation et sécurité internationale Stéphane Leman-Langlois a ajouté que les vidéos sont un «accessoire très important pour le recrutement» et qu’elles ne seront jamais «passées date».
«Il va y avoir des millions de clics», a-t-il prévenu, bien qu’il soit difficile de prédire, selon lui, combien de personnes pourraient passer à l’acte après les avoir visionnées.
L’avocat des médias, Jean-François Côté, a insisté sur le caractère public des débats judiciaires.
«Évidemment, ça a un corollaire, c’est l’accès aux pièces et le droit d’avoir une reproduction de ces pièces-là», a-t-il dit à sa sortie de la salle de cour.
Un débat qui «scandalise» la communauté musulmane
Vendredi, le président du Centre culturel islamique de Québec, Boufeldja Benabdallah, s’est vivement opposé à la diffusion par les médias d’images captées lors de l’attentat du 29 janvier 2017.
Il a déclaré que la communauté musulmane de Québec était «consternée», «extrêmement peinée», «scandalisée».
«Si ça se passe, nous allons de nouveau revivre les atrocités du 29 janvier», a-t-il confié au juge François Huot, de la Cour supérieure.
«Je ne veux pas les voir (ces vidéos), a-t-il ajouté, des sanglots dans la voix. Pourquoi faire ça?»
L’homme de 70 ans a demandé à la cour de penser aux enfants des victimes, qui souhaitent garder de beaux souvenirs de leurs pères. «On ne veut pas que d’autres images viennent oblitérer cette image», a-t-il dit.
Il a également déploré le fait que les victimes semblent devenir des «marchandises» qui pourront être utilisées «à des fins commerciales».
Bissonnette a été reconnu coupable la semaine dernière de six meurtres et de six tentatives de meurtre. Il est passible d’une peine d’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération avant 150 ans.
Les témoignages se poursuivront le 10 avril, après quoi le juge devra décider s’il permet ou non la diffusion des vidéos, en partie ou en totalité.
Par ailleurs, les observations sur la peine commenceront le lendemain.