Chez moi comme chez plusieurs, le parti fondé par Françoise David revêtait une importance fondamentale en politique québécoise: celle du principe moral, de l’incorruptibilité. Du redresseur de torts, aussi. Parce que, oui, le parti politique traditionnel, qui souhaite d’ordinaire assumer le pouvoir, constitue une proie facile pour les derniers sondages. Au détriment, bien souvent, de l’idéologie et des principes jusqu’alors chéris.
Difficile, dans cette optique, de ne pas considérer l’importance de Québec solidaire dans le paysage actuel. Une voix de gauche, certes, mais surtout indépendante. Celle qui pourra déstabiliser l’ancien premier ministre Lucien Bouchard venu défendre, en commission parlementaire et comme lobbyiste, ses clientes pétrolières.
Est-ce à dire que j’appuie, personnellement, les positions de ce parti? Rien à voir. Mais de l’indépendance, de l’authenticité, des principes? Amènes-en: c’est pas de l’onguent.
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Cela dit, cette même pureté crée à l’occasion son lot de méandres.
D’abord, des dérapages. Une illustration? La déclaration récente de Manon Massé sur l’absence, dans son carnet d’adresses, de coordonnées d’avocats, de banquiers et d’ingénieurs. Je représente le «vrai» monde, a-t-elle dit. Manichéen à souhait; beau populisme de gauche.
Ensuite, être dorénavant assujetti aux hauts standards moraux établis par… nous-mêmes. Sans vouloir revenir en détail sur l’affaire Marissal (Québecor et La Presse s’en étant allégrement chargées), il reste qu’un aspect de celle-ci semble avoir été occulté : quelle était l’occupation de l’ex-chroniqueur au moment de se joindre à QS? Lobbyiste. Dans le sens d’influenceur enregistré et payé, défendant des intérêts manifestement et naturellement… corporatistes. Et qui a les moyens de s’offrir un consultant au taux horaire avoisinant très certainement les 300 $ de l’heure? Les amis de Manon?
Autre chose : selon Denis Lessard, de La Presse, son ex-collègue aurait profité à quelques occasions du condo de la ministre libérale Christine St-Pierre, chose admise par celle-ci. Mieux: l’ancien ministre conservateur et banquier (tiens tiens) Michael Fortier l’aurait invité à grands frais aux Jeux olympiques de Vancouver. Tout ça pendant que le chroniqueur était encore en fonction, écrivant même parfois sur ses deux amis. D’aucuns concluraient à la définition même du conflit d’intérêts. Qu’en pensent au fait les Manon, GND et Amir? Rien entendu là-dessus. Parce que si on veut jouer le rôle de redresseur de torts, encore faut-il respecter soi-même un précepte fondamental: être plus blanc que le parti d’en face. À moins, bien entendu, de valoriser un système de double standards. De bons et de mauvais lobbyistes. De vrais et de faux conflits d’intérêts.
Dernière affaire : le port de signes religieux. QS appuie, apprend-on, les positions de Bouchard-Taylor. Et pourquoi donc? Parce qu’elles font consensus. Ah bon.
Pourtant, aucun des partis ne s’est rangé derrière ce rapport, le PQ et la CAQ ayant tapé dessus à bras raccourcis, le PLQ ayant refusé de s’y associer, lui qui avait commandé l’expertise en question. Alors pourquoi cet appui soudain et inopiné? Réponse suggérée: la facture électoraliste d’une lutte contre les identitaires, particulièrement en cette ère semi-hystérique, serait trop salée.
Dommage. À force de singer les partis traditionnels, Québec solidaire y perdra ses principes et sa raison d’être. Parce qu’au jeu du singe, les électeurs préféreront toujours, réflexe bien ancré, l’original.