La semaine dernière, on apprenait qu’Alexandre Bissonnette – celui qui a commis l’attentat à la mosquée de Québec – jetait aussi son fiel sur les groupes féministes de l’Université Laval et suivait leurs activités. Cette semaine, la masculinité fragile semble aussi avoir frappé à Toronto. Depuis le tragique événement, tout le monde semble découvrir pour la première fois les «incel» (contraction d’«involuntary celibates»), un terme revendiqué par ceux qui n’ont pas de chance avec les femmes et sur les réseaux – et, semble-t-il, aussi par celui qui a foncé dans la foule avec sa fourgonnette. Encore une fois, je ne peux m’empêcher d’être légèrement insultée qu’on commence tout juste à comprendre que les trolls misogynes sur l’internet posent un réel danger.
Je ne sais pas si vous vous rappelez la vague de chroniqueuses qui avaient démissionné de leurs fonctions l’an passé, épuisées par les attaques sur les réseaux sociaux. Parmi elles: Judith Lussier, mon ancienne collègue à Métro. Les commentaires misogynes et constants sous les publications de Judith, je les voyais passer avec anxiété. L’an passé, j’ai moi aussi été la cible de ces mêmes énergumènes. Encore aujourd’hui, j’ai peur d’aller voir mes messages filtrés dans Messenger. Cette peur n’a fait qu’exacerber mon isolement déjà causé par un syndrome de stress post-traumatique. La violence de certaines attaques dont j’étais la cible m’a fait perdre confiance en des lieux que j’appréciais pourtant, comme l’école, mes quartiers préférés, le métro, les cafés que je fréquentais… Et si on me faisait du mal?
On a souvent balayé mes craintes du revers de la main en disant que j’exagère et que rien ne pouvait m’arriver. Quand on voit ce qui semble être un cas de misogynie perpétré par Alek Minassian, lequel ne serait pas le premier à commettre un tel crime, j’espère qu’on réalise l’ampleur du problème. Puis, quand on mentionne ledit problème, ces mêmes hommes reviennent à la charge, plus virulents. Alors, on ferme sa gueule et on s’isole.
Si vous vous aventurez dans les abysses de la Toile, vous trouverez un bon nombre de forums où les «incel» se rassemblent virtuellement et discutent. J’ai fait l’erreur de jeter un œil sur quelques fils de discussion, l’an passé, déterminée à étudier les comportements des misogynes dont j’étais la cible. Reddit a fermé le plus important fil de discussion de ceux-ci l’an passé. Les discussions ont dérapé. Dans les horreurs proposées par les internautes qui interagissaient sur le fil, on y trouve l’idée de marier toutes les femmes de force à 15 ans ou d’essayer l’inceste avec des membres de sa famille, pour garantir aux incel des relations sexuelles. Je vous épargne le reste.
Je lis les développements sur l’attaque avec effroi. Le schéma des «incel» et de mes intimidateurs est le même. J’ai vraiment hâte que ça rentre dans la tête de beaucoup d’hommes : on ne vous doit rien. Votre gentillesse ne nous oblige pas à avoir des relations sexuelles avec vous, et inutile de nous servir l’argument de la «friendzone» pour nous faire sentir mal. Il est aussi temps qu’on arrête collectivement de rire du concept de la masculinité toxique.