MONTRÉAL — Imaginez votre patelin envahi par des hordes barbares qui pratiquent une politique de terre brûlée et détruisent tout sur leur passage.
Imaginez maintenant que de vaillants miliciens tentent de vous défendre et même, qu’une poignée d’entre eux s’avèrent des combattants féroces, mais qu’ils ne sont pas assez nombreux pour prévaloir.
Et tout à coup, alors qu’il ne fait aucun doute que l’envahisseur triomphera, voilà que vos meilleurs guerriers sont retirés de la lutte, clonés par milliers et redéployés en renfort pour vaincre l’envahisseur et le chasser définitivement du territoire.
Scénario d’un nouveau jeu vidéo? Non. Il s’agit là, en quelques images, du sentier de la guerre sur lequel s’engage une équipe de chercheurs du Centre hospitalier universitaire de Montréal (CHUM), armés d’un nouvel outil qui a le potentiel de multiplier les forces de défense naturelles de l’humain contre le cancer.
Le Centre de recherche du CHUM a en effet annoncé mardi avoir fait l’acquisition du premier trieur de cellules à système fermé au Canada, un appareil de 500 000 $ dont seulement 20 exemplaires existent dans le monde et qui a le potentiel de devenir à moyen terme une pièce maîtresse dans l’arsenal de lutte contre le cancer.
Autodéfense
Certains éléments de cet arsenal sont bien connus: chimiothérapie et radiothérapie, mais depuis quelques années, l’immunothérapie s’est ajoutée à la force de frappe, une approche qui repose sur la capacité du corps humain à se défendre de lui-même.
Lorsque le cancer frappe, le système immunitaire du corps humain réplique en lançant ses troupes de choc, les lymphocytes T, dont certains arrivent à contrer le terrible envahisseur, mais pas tous.
«Les cellules du système immunitaire vont infiltrer les tumeurs et tenter de les attaquer, mais c’est toujours, ou à peu près toujours, le cancer qui gagne», explique le docteur Simon Turcotte, chirurgien oncologue et chercheur en immunologie du cancer.
«Le problème, c’est qu’on sait qu’il n’y a qu’une minorité de lymphocytes T qui infiltrent les tumeurs qui sont réellement capables de combattre le cancer».
Et c’est là qu’entre en jeu le trieur de cellules: «Avant, quand on faisait cette forme de thérapie, on prenait la tumeur d’un patient, on faisait pousser tous les lymphocytes T sans discernement, même s’il y en a juste une minorité qui reconnaissent le cancer, et on essayait de transfuser ça en se croisant les doigts.»
Grâce à cet appareil, il est désormais possible de prélever des tumeurs, «d’aller y chercher la petite fraction de lymphocytes T qui reconnaissent les antigènes tumoraux et on fait à l’extérieur du corps ce que le corps n’est pas capable lui-même», c’est-à-dire placer ces guerriers d’élite dans un incubateur, les multiplier massivement et les réinjecter dans le patient.
«Ç’a stoppé la maladie»
Déjà, malgré l’imprécision des techniques existantes, l’immunothérapie a démontré des résultats prometteurs.
Frédéric Tremblay avait 30 ans lorsque le grain de beauté qui l’incommodait en 2010 s’est avéré être un mélanome malin.
Un traitement à l’interféron durant un an a d’abord stabilisé la maladie, qui l’a laissé en paix durant trois ans puis, en 2013, un nouveau verdict est tombé brutalement: «Ç’avait métastasé partout. C’était une récidive importante: les poumons, le médiastin, les glandes surrénales, il y avait une quarantaine de nodules qui étaient apparus.»
La valse des traitements de chimiothérapie, de radiothérapie et de certaines formes d’immunothérapie s’est alors amorcée, avec des résultats mitigés. En 2015, les tumeurs étaient apparues au cerveau.
Cette année-là, il a été admis dans un projet de recherche au Princess Margaret Cancer Center, de Toronto, projet où les chercheurs travaillaient justement avec l’approche d’immunothérapie basée sur l’injection de lymphocytes T extraits des tumeurs, multipliés et réinjectés dans le corps, sans toutefois, le bénéfice d’une sélection des meilleurs soldats.
Qu’à cela ne tienne, il a suivi cette thérapie jusqu’en décembre dernier.
«Ç’a stoppé la maladie; elle est encore là, mais ç’a stoppé la progression», raconte-t-il, ajoutant avec un soupçon d’émerveillement dans la voix que «c’est quand même phénoménal d’avoir un traitement qu’on possède en soi».
Depuis, la maladie est «stable, contrôlée, toujours présente, mais inactive», dit-il, bien qu’il doive se soumettre à un suivi serré qui l’envoie à Toronto toutes les trois semaines et assurer un suivi aussi à Montréal.
Frédéric Tremblay se réjouit de savoir que les travaux de l’équipe du docteur Turcotte pourraient mener à une immunothérapie encore plus efficace en concentrant ce que le corps humain a de mieux à offrir.
Surtout, le jeune homme de 38 ans, rayonnant, ne regrette certainement pas d’avoir pris le risque de s’inscrire au projet de recherche torontois: «Le défi, c’est de prendre la décision, c’était ça le plus dur, mais en même temps, là, je suis marié, j’attends un enfant, ce qui fait que… ç’a été la bonne décision!»
Horizon de 5 à 10 ans
L’acquisition du trieur de cellules est le début d’une démarche de recherche qui se penchera d’abord sur les cancers de la peau, les mélanomes malins, mais les chercheurs entendent bien greffer au protocole de recherche une série de cancers solides, comme ceux des poumons, du foie, des reins et ainsi de suite.
«Le potentiel est là, de dire le docteur Turcotte. D’un point de vue scientifique, il n’y a aucune raison de penser que cette forme de thérapie ne fonctionne pas s’il y a, au sein d’une tumeur, une tentative par le système immunitaire de combattre son cancer.»
L’appareil n’a obtenu que récemment les certifications pour l’usage chez les humains.
La première étape sera donc de procéder à des essais sur des tumeurs humaines afin de démontrer la capacité du trieur à remplir ses promesses. Le docteur Turcotte estime qu’il sera possible d’obtenir l’autorisation de Santé Canada de procéder à des premiers essais cliniques sur des humains dans environ un an.
Quant à savoir à quel moment l’appareil pourrait devenir un outil clinique régulier pour l’immunothérapie, Simon Turcotte se montre aussi prudent que la grande majorité des chercheurs lorsqu’on leur pose cette question: «C’est très difficile à estimer. Si ça marche bien, c’est raisonnable de penser que sur un horizon de 5 à 10 ans, ça pourrait faire partie du standard clinique.»