QUÉBEC — Le gouvernement Couillard est parvenu à ses fins et a forcé jeudi l’adoption du projet de loi 400, en imposant par bâillon la transformation du quotidien La Presse en organisme à but non lucratif (OBNL).
Soixante-seize députés ont voté pour le projet de loi contre 24. Les caucus libéral, caquiste et solidaire ont appuyé la mesure législative, les péquistes et la députée de Vachon, Martine Ouellet, s’y sont opposés.
La procédure d’exception a été rendue nécessaire en raison de l’obstruction manifestée par Mme Ouellet, lors de l’étude du projet de loi.
«On considère qu’il y a urgence, s’est défendu le leader du gouvernement, Jean-Marc Fournier. Les représentants de La Presse nous ont fait des représentations à l’effet que si nous ne faisions pas maintenant ce processus-là, il y avait un péril (pour les emplois).
«Est-ce que c’est notre travail d’empêcher qu’il y ait une équité et qu’on puisse aider lorsqu’une entreprise et un syndicat viennent nous dire: ‘Il y a une difficulté réelle?’ C’est notre travail, c’est notre responsabilité», a-t-il insisté.
Pour sa part, le premier ministre Philippe Couillard a soutenu qu’il était urgent de légiférer pour «protéger les fonds de pension» des retraités de La Presse.
Les dirigeants de La Presse ont rappelé en commission parlementaire que Google et Facebook accaparent maintenant 80 pour cent des revenus publicitaires au Canada et qu’ils ne peuvent attendre une année de plus pour passer au statut d’OBNL. Ce nouveau statut pourrait permettre ultimement d’obtenir des crédits d’impôt fédéraux sur la masse salariale.
Le gouvernement fait son lit
Il ne faisait pas de doute depuis le début que le gouvernement était bien déterminé à donner suite à la demande des dirigeants de La Presse de procéder rapidement par voie législative pour effectuer le changement souhaité.
Alors que le projet de loi 400 était en étude accélérée, plusieurs autres pièces législatives ont été tablettées, a souligné le leader parlementaire du Parti québécois (PQ), Pascal Bérubé.
Le gouvernement a choisi d’abandonner les projets de loi sur les sources journalistiques, sur l’accès à l’information et sur l’accès à la justice pour prioriser celui sur La Presse. «Celui-là, il doit passer!» s’est-il exclamé, sur le ton de l’ironie.
Durant l’étude du projet de loi 400, les partis d’opposition ont bien tenté, mais en vain, d’apporter des amendements.
Le PQ souhaitait des garanties sur l’indépendance éditoriale de La Presse, mais la direction a laissé entendre qu’elle voulait conserver sa position éditoriale fédéraliste.
Au chapitre de la gouvernance, le parti souverainiste s’opposait à ce que le président de La Presse, Pierre-Elliott Levasseur, nomme les membres du conseil d’administration du futur OBNL.
Mascarade
Jusqu’à la toute dernière minute, Martine Ouellet aura elle aussi tenté d’arracher des amendements au gouvernement.
Jeudi, elle a proposé entre autres d’interdire dans la loi la vente de La Presse à une entreprise étrangère.
«Je trouve que le bâillon, c’est honteux, s’est indignée la députée indépendante. On se rend compte que le Parti libéral est complètement au service de Power Corporation, des Desmarais et de La Presse, probablement suite à leur appui électoral et au financement.
«On assiste donc actuellement à une vaste mascarade», a-t-elle martelé.
Les dirigeants de La Presse auraient dû soumettre leur demande à l’Assemblée nationale plus tôt pour que le débat se fasse sereinement et dans les règles habituelles, a poursuivi Mme Ouellet, avec le co-porte-parole de Québec solidaire, Gabriel Nadeau-Dubois.
Dans un communiqué publié après le vote des parlementaires, le président de La Presse, Pierre-Elliott Levasseur, se réjouissait de la tournure des événements.
«Il s’agit d’une très bonne nouvelle, car cette décision nous permet d’aller de l’avant avec le changement de structure de l’entreprise, une étape cruciale de notre plan stratégique qui vise à assurer la pérennité de La Presse, a-t-il déclaré. Nous aurons ainsi accès à des sources de revenus plus diversifiées, venant des fondations, des grands donateurs, du public et des programmes d’aides gouvernementaux universels, accessibles à toutes les entreprises de presse écrite.»