PORT COLBORNE, Ont. — Le Canada pourrait imiter bientôt les États-Unis et imposer des sanctions aux responsables saoudiens soupçonnés d’avoir assassiné le journaliste Jamal Khashoggi en Turquie, a déclaré jeudi la ministre canadienne des Affaires étrangères, Chrystia Freeland.
Le gouvernement américain a annoncé jeudi qu’il invoquerait sa «loi Magnitski» afin d’imposer des sanctions contre 17 personnes, dont le consul général d’Arabie saoudite en Turquie, Mohammed al-Otaibi. Le chroniqueur Khashoggi, critique de la monarchie saoudienne, qui résidait aux États-Unis, a été vu pour la dernière fois au consulat d’Istanbul, dirigé par le consul Al-Otaibi.
Surnommée «loi Magnitski» en mémoire d’un dissident russe mort en prison, cette loi, adoptée d’abord à Washington puis à Ottawa, permet d’imposer le gel des avoirs — ou de décréter un interdit de séjour — pour des ressortissants étrangers coupables de graves violations des droits de la personne dans leur pays.
Interrogée jeudi par les journalistes sur les sanctions imposées par les États-Unis, la ministre Freeland a indiqué qu’Ottawa était en contact étroit avec les Américains dans ce dossier. Elle a soutenu que le Canada «envisageait activement d’agir, au cours des prochains jours, en vertu de sa loi Magnitski», qui «nous a été très utile en diplomatie».
À Ottawa, l’opposition conservatrice a pressé le gouvernement libéral d’«agir immédiatement sur cette question, aux côtés de nos alliés», en invoquant rapidement la «loi Magnitski».
«Comme chef de file mondial sur les droits de l’homme, le Canada a le devoir d’agir rapidement pour condamner les actes barbares commis contre des journalistes, des défenseurs des droits de l’homme et des dissidents», ont indiqué dans un communiqué commun les porte-parole conservateurs en matière d’affaires étrangères et de défense nationale, Erin O’Toole et James Bezan. «Il est impératif que Justin Trudeau agisse pour garantir que ceux responsables de la mort de Jamal Khashoggi soient tenus responsables.»
Trudeau attend des réponses
En voyage officiel en Asie, le premier ministre Justin Trudeau a déclaré jeudi que son gouvernement attendait toujours des réponses claires de l’Arabie saoudite sur l’assassinat du journaliste Khashoggi — et la participation potentielle de Riyad dans cette affaire.
«Nous continuerons à travailler avec nos partenaires internationaux pour déterminer plus clairement (ce qui s’est passé) et entendre les réponses de l’Arabie saoudite sur leur point de vue et leur participation potentielle dans le meurtre de Jamal Khashoggi», a déclaré M. Trudeau jeudi, en marge du sommet économique des pays du sud-est asiatique (ANASE), à Singapour. «Je pense que nous sommes solidaires avec nos partenaires internationaux pour exiger des comptes.»
Le gouvernement libéral doit jongler avec un contrat de 15 milliards $ pour la vente à l’Arabie saoudite de véhicules blindés fabriqués au Canada. Le contrat a été négocié sous le gouvernement conservateur précédent, mais nécessite des approbations constantes d’Ottawa pour que les véhicules canadiens continuent à être livrés au royaume saoudien.
Outre la mort suspecte du journaliste Khashoggi, l’implication de l’Arabie saoudite dans la violente guerre civile au Yémen voisin soulève des questions sur la moralité de cette vente d’armement au royaume wahhabite.
M. Trudeau a déjà indiqué que si le gouvernement canadien rompait ce contrat, les pénalités seraient «énormes» — sans chiffrer ces pertes.
Le procureur en chef de l’Arabie saoudite a recommandé jeudi la peine de mort pour cinq suspects relativement à l’assassinat du journaliste Khashoggi. Saudi Al-Mojeb a aussi indiqué que le plus important dirigeant impliqué dans ce complot est Ahmad al-Assiri, l’ancien directeur adjoint des renseignements saoudiens, qui a été congédié pour avoir ordonné le retour forcé de M. Khashoggi.
Si l’assassinat de M. Khashoggi avait réellement été commis par des agents saoudiens «incontrôlables», la situation serait plus simple pour le Canada. Mais les commentaires de M. Trudeau suggèrent que le premier ministre est toujours très sceptique face à cette thèse reprise jeudi par Riyad.
Plus tôt cette semaine, M. Trudeau était devenu le premier leader occidental à confirmer publiquement que des responsables du renseignement canadien avaient entendu les enregistrements de la Turquie sur le meurtre de M. Khashoggi, sans toutefois en dévoiler le contenu.