MONTRÉAL – André Durocher, président des Excavations Panthère, a admis mercredi avoir lui-même tenté d’organiser son propre groupe fermé d’entrepreneurs en construction sur la couronne nord de Montréal, en 2008, après avoir tenté pendant des années de résister au système de collusion.
Devant la Commission Charbonneau, M. Durocher a rapporté qu’il s’était résigné à tenter d’organiser un tel groupe sur la couronne nord en voyant des entrepreneurs de Montréal et Laval obtenir des contrats sur ce territoire, alors qu’eux ne pouvaient obtenir de contrats à Montréal et Laval.
«En 2008, après que l’étau se serrait sur toutes les villes, les entrepreneurs et tout, j’ai décidé, avec trois autres, de dire ‘on n’est pas pire qu’ailleurs, on va former un système de collusion, on va sortir les entrepreneurs qui nous sortent de d’autres municipalités’», a témoigné l’entrepreneur Durocher.
Il a confirmé qu’une vingtaine d’entrepreneurs avaient participé à la rencontre au Ramada Inn de Blainville, le 10 mai 2008, notamment des entrepreneurs de Laval.
Les entrepreneurs ont commencé à discuter de la façon de se répartir les contrats, mais, au bout de deux heures, le désaccord entre eux est devenu évident. «La chicane a pogné», a-t-il constaté.
«Ça s’est avéré le fouillis total. La chicane a parti. Les gars ont garroché des papiers. Ils sont tous partis puis la réunion s’est conclue avec deux heures et demie de perte de temps. Puis le lundi matin, la guerre a recommencé entre les entrepreneurs et ça a été fini», a-t-il résumé.
Lui qui dirigeait une entreprise familiale avoue que sa famille était dès le départ contre cette idée, craignant qu’il ne perde le contrôle de l’entreprise.
«La réunion de collusion, ma famille était vraiment contre ça. Mais il vient un temps où tu ne sais plus où te garrocher, quand t’as des équipements à payer, des hommes à faire travailler. Là, on dit ‘il y a un système de collusion partout, sauf où on est. Puis on se fait manger la laine sur le dos’. Il reste quoi?»
Sa tentative a donc échoué, comme l’avait raconté à la commission l’ex-dirigeant d’Infrabec, Lino Zambito, qui avait participé à la rencontre.
Ingénieurs et tactiques
Plus tôt dans la journée, M. Durocher a relaté d’autres tactiques auxquelles il a fait face dans le milieu de la construction sur la couronne nord de Montréal et à Montréal pour tenter d’empêcher la libre concurrence ou de compliquer la vie à ceux qui ne veulent pas participer au système de collusion.
Il a notamment relaté le cas d’un contrat à Saint-Janvier de Mirabel, pour lequel on lui avait d’abord demandé de «se tasser» pour laisser la place à une autre entreprise, ce qu’il avait refusé de faire.
Il s’était aussi fait dire que si jamais il remportait cet appel d’offres, cet appel serait ensuite annulé pour ne pas qu’il puisse effectivement exécuter les travaux. L’appel d’offres a effectivement été annulé.
M. Durocher a relaté un autre exemple où il a refusé de déposer une soumission de complaisance pour une piste cyclable à Mirabel au montant suggéré par un autre entrepreneur qui voulait remporter cet appel d’offres. Cet entrepreneur l’avait même abordé à 1h du matin, sur la rue, pour tenter de le convaincre de lui laisser ce contrat, ce qu’il a refusé de faire.
Finalement, le contrat a été adjugé à cet entrepreneur, mais à un montant bien moindre que ce qu’il lui avait suggéré, permettant ainsi à la Ville d’économiser parce qu’il y a eu libre concurrence, selon son témoignage.
Pour un autre contrat à Blainville, trois ou quatre jours avant l’ouverture des soumissions, il a reçu un addenda pour ajouter 250 puisards aux puisards existants pour un contrat de construction dans quelques rues.
«Je me suis dit en moi-même ‘ont-ils l’intention de faire la rue juste en puisards et de ne pas mettre d’asphalte?’ C’est incroyable!», a-t-il relaté, avant de conclure qu’il était préférable qu’il ne dépose pas sa soumission.
Le contrat prévoyait en plus une pénalité de 5000 $ par jour pour l’entrepreneur si les travaux n’étaient pas terminés à temps et donnait un court laps de temps pour exécuter ces travaux.
Finalement, le contrat estimé à 12 millions $ a été adjugé à 16 millions $ et les coûts seraient maintenant rendus à 20 millions $, selon son témoignage.
Le commissaire Renaud Lachance lui a demandé pourquoi Excavations Panthère n’avait pas de territoire attitré comme d’autres entreprises de construction sur la couronne nord.
«Pour avoir un territoire, pour un entrepreneur, ça te prend une firme d’ingénieurs et ça te prend une ville. Si tu ne donnes pas de bonbons à une firme d’ingénieurs, il n’a pas d’intérêt à te localiser ou à te donner de l’ouvrage dans n’importe quelle ville. Il faut que tu embarques dans un système de collusion», lui a répondu M. Durocher.
Merci à la commission
M. Durocher est resté amer de son expérience dans la construction, alors qu’aujourd’hui son entreprise familiale est placée sous la protection de la Loi sur les faillites.
«S’il y avait eu la Commission Charbonneau dix ans auparavant, je serais peut-être assis ici dix ans auparavant, mais j’aurais encore mon entreprise, ma famille et on travaillerait encore dans le domaine de la construction», a-t-il conclu, en remerciant la commission de son travail.
Contre-interrogé par le procureur de l’Association de la construction, Me Daniel Rochefort, M. Durocher a soutenu qu’il y avait «beaucoup» d’entreprises victimes de la collusion comme la sienne.
«Quand je vous dis qu’une entreprise comme la mienne, on a été obligé de travailler à Val d’Or parce qu’il y a un manque d’ouvrage (ici), ou à La Tuque, parce qu’on ne peut pas percer le marché (ici), il y a réellement un problème», s’est-il exclamé.
Il affirme qu’ailleurs au Québec, il n’a jamais vécu de tels problèmes. «Au contraire, quand j’arrivais sur un contrat de Val d’Or, il y a un entrepreneur qui me demandait si j’avais besoin d’équipement, qui était prêt à me les fournir», a-t-il raconté.