Le visage de la fille de Yan Boissonneault commençait à prendre une teinte bleutée.
Le bébé avait subitement cessé de respirer et le père a désespérément pratiqué la réanimation cardiopulmonaire sur le poupon pendant que son ami James Gallagher composait le 911.
Des années plus tard, le souvenir de cette journée demeure chargé d’émotion pour les deux hommes. M. Boissonneault a appris que sa fille souffrait d’une maladie rare qui cause des crises d’épilepsie et lorsque les médicaments n’ont pas réussi à la guérir, il s’est tourné vers le cannabidiol (CBD), une substance non psychotrope présente dans la marijuana.
«Cela fait maintenant deux ans et elle n’a eu aucune crise, a indiqué Yan Boissonneault, debout devant une série de plants de marijuana placés sous de brillantes lumières blanches. C’est ce qui m’a poussé à me lancer là-dedans. C’est très personnel. Le seul profit que j’en retire, c’est la joie de voir ma fille sourire.»
MM. Boissonneault et Gallagher sont aujourd’hui à la tête d’une poignée de petites installations de culture de marijuana médicinale en Colombie-Britannique et figurent parmi les producteurs «artisanaux» qui espèrent mettre à profit leurs connaissances sur le marché du cannabis récréatif grâce à une nouvelle licence de microculture.
Mais ceux et celles qui souhaitent se prévaloir de cette licence sont confrontés à un obstacle de taille: obtenir de leur municipalité l’approbation et le zonage adéquat, une condition essentielle pour recevoir la fameuse autorisation. Selon les cultivateurs, plusieurs villes n’ont pas encore établi de zonage et ne sont pas prêtes à permettre la microculture ou sont peu disposées à l’autoriser.
Les petits producteurs reprochent au gouvernement fédéral de ne pas avoir informé les municipalités au sujet des nouvelles licences et sur la nécessité de créer un zonage approprié. Par conséquent, affirment-ils, le traitement des demandes est retardé, la chaîne d’approvisionnement légale est minée par les pénuries et le marché noir continue d’être florissant.
«L’idée (derrière les licences de microculture) était de permettre aux petits cultivateurs de s’impliquer et d’amener le marché noir à se convertir au nouveau marché, a expliqué James Walsh, le président de BC Micro Licence Association. Dans les faits, ce n’est pas ce qui se passe.»
Ottawa a commencé à accepter les demandes de licence des petits producteurs le 17 octobre, soit le même jour où la marijuana récréative est devenue légale. Les licences couvrent 200 mètres carrés de plants et permettent aux cultivateurs de faire jusqu’à trois millions de dollars en revenus bruts par année, a précisé M. Walsh.
Mais de nombreux microcultivateurs n’ont pas été en mesure de présenter une demande au gouvernement fédéral parce qu’ils attendent toujours le zonage local, a-t-il ajouté.
Santé Canada a révélé avoir reçu jusqu’à présent 23 demandes de licences de microculture, soit cinq en Colombie-Britannique, cinq en Alberta, sept en Ontario et six au Québec.
La légalisation du cannabis est le fruit de plus de deux années de consultations avec tous les ordres de gouvernement. Santé Canada a répondu à beaucoup de questions posées par les municipalités et demeure à leur disposition, a déclaré la porte-parole Tammy Jarbeau.
«Santé Canada a encouragé et a soutenu les municipalités afin qu’elles mettent en place des normes et des règlements administratifs locaux si nécessaire», a-t-elle précisé dans un communiqué.
Les petits producteurs ont mis beaucoup de temps et de passion pour faire pousser du cannabis de qualité, a affirmé James Gallagher en regardant les plants luxuriants qu’ils partagent avec Yan Boissonneault.
«Nous avons beaucoup de connaissances et nous voulons voir comment nous pourrions faire la transition, a-t-il dit. Pouvons-nous transformer cela en une entreprise maintenant que c’est légal? C’est une question que nous nous sommes toujours posée.»