La confusion régnait hier matin, alors que certains médias titraient qu’aucune accusation ne serait déposée contre Gilbert Rozon. D’autres sources affirmaient plutôt que le Directeur des poursuites criminelles et pénales n’avait pas encore rencontré toutes les plaignantes dans cette affaire, ce qui laissait la porte ouverte à certaines accusations. Plus tard dans la matinée, on apprenait que, finalement, deux chefs d’accusation seraient déposés contre Rozon, dont un de viol.
Les journalistes ayant sauté trop vite aux conclusions peuvent faire leur examen de conscience en vertu du code de déontologie qui leur appartient. Mais le DPCP pourrait aussi réfléchir à sa façon de communiquer ses décisions. Car cette période de flottement entre le moment où Rozon n’était accusé de rien et celui où il était finalement accusé de quelque chose n’est pas sans conséquence.
La sociologue Christine Delphy dit que, chaque fois qu’une femme est violée, des millions d’autres comprennent la leçon. Il en va de même des plaintes rejetées. Chaque accusation non retenue envoie aussi le message qu’il y a peu d’espoir que justice soit rendue aux victimes de crimes commis le plus souvent sans témoins. C’était la conclusion que tiraient amèrement plusieurs victimes d’agressions sexuelles, hier, tandis qu’en après-midi, certains commentateurs du dimanche continuaient à donner des leçons de présomption d’innocence, n’étant visiblement pas à jour sur la nouvelle.
On a parlé abondamment de culture du viol dans les dernières années. Cette culture comprend notamment les discours entourant les agressions sexuelles, et le processus judiciaire en fait intimement partie. L’annonce de chacune des décisions, qu’il s’agisse des conclusions d’une enquête préliminaire ou d’un verdict, envoie un message. Vu la délicatesse du sujet, la moindre des choses serait que ces annonces fassent l’objet d’une réflexion, ne serait-ce que pour l’ordre dans lequel on les fait. Pourquoi le DPCP a-t-il choisi de divulguer d’abord les dossiers qui ne seraient pas retenus, plutôt que l’inverse? Comment cela peut-il servir le bien commun?
Cette réflexion est probablement déjà entamée au DPCP, puisque, même s’il n’y a pas de bonne façon d’annoncer à une victime que sa plainte ne sera pas retenue, on peut toutefois en trouver des moins pénibles. Quand le DPCP a annoncé qu’aucune accusation ne serait portée contre les policiers de Val-d’Or, la procureure a pris soin de préciser que «ce n’est pas parce que le DPCP ne dépose pas d’accusation que cela signifie que l’événement n’est pas survenu». Cette annonce était accompagnée d’un document de 17 pages contenant des justifications et des précisions. Même si la décision était frustrante pour les plaignantes, on peut imaginer que ces explications aient atténué leurs souffrances.
Vu la complexité du système judiciaire et la délicatesse du sujet, il est important d’expliquer au public la portée des décisions du DPCP et leurs limites. Car en plus de décourager les victimes de dénoncer leur agresseur, le rejet des plaintes, s’il n’est pas accompagné d’un discours éducatif, a aussi le potentiel de renforcer certains préjugés, dont cette idée que les plaignantes seraient des menteuses. A-t-on vraiment besoin d’alimenter ce mythe?