Les arguments privilégiés par les masculinistes pour illustrer le fait que les hommes soient eux aussi victimes de sexisme sont qu’ils se suicident davantage que les femmes et qu’ils sont plus nombreux à abandonner l’école. La solution qu’ils détestent le plus: parler de masculinité toxique, comme en témoignent les nombreuses réactions négatives à la campagne de Gillette visant à remettre en question certains comportements encouragés chez les hommes, et qui sont probablement les plus grands facteurs de souffrance de ces derniers.
Les hommes souffrent eux aussi. Mais leurs souffrances peuvent difficilement être attribuables à une discrimination qu’ils subiraient sur la base de leur genre. Même lorsqu’ils n’obtiennent pas de diplôme, les hommes s’en tirent avec des conditions socioéconomiques plus intéressantes que les femmes dans la même position, pouvant exercer des métiers non qualifiés plus payants, comme l’a détaillé à l’aide de plusieurs indicateurs la Fédération autonome de l’enseignement dans un rapport paru en 2012.
Quant aux taux de suicide inquiétants des hommes, une première étude basée sur les données de l’Organisation mondiale de la Santé publiée ce mois-ci a fait ressortir que plus une société était inégalitaire, moins la différence entre les taux de suicide masculin et féminin était importante. Les indicateurs d’inégalités sociales avaient plus d’impact que les conditions économiques sur les taux de mortalité par suicide. Le suicide chez les hommes est tragique, mais il n’est pas un indicateur de sexisme envers les hommes.
Les hommes souffrent eux aussi, mais tout indique que c’est une vision toxique de la masculinité, et non les inégalités, qui est à l’origine de leurs souffrances.
Gillette a peut-être fait l’erreur d’associer la masculinité toxique au mouvement #MeToo pour solliciter l’attention de sa clientèle cible. Car si les comportements toxiques de certains hommes peuvent en effet avoir des effets néfastes sur les femmes, c’est d’abord à eux qu’ils font du tort. L’American Psychological Association (APA) publie ce mois-ci ses lignes directrices pour la prise en charge psychologique des hommes et des garçons, et identifie la masculinité traditionnelle comme une nuisance pour leur santé physique et mentale.
Ce que l’organisation définit comme une «idéologie traditionnelle de la masculinité» encourage les hommes à réprimer l’expression de leurs émotions, à être en compétition, à rejeter ce qui pourrait être associé à la féminité, à cacher leur vulnérabilité, à prendre des risques inutiles et à s’engager dans des comportements violents. Cette «constellation de normes» imposées aux hommes et aux garçons est à l’origine de plusieurs de leurs souffrances. Elle les incite à adopter des comportements nocifs pour eux et les décourage d’obtenir l’aide dont ils ont besoin.
Même s’ils sont généralement avantagés dans la société, les hommes souffrent aussi, et les quelque 300 références scientifiques sur lesquelles s’appuie l’APA indiquent qu’une vision moins restrictive des rôles selon le genre pourrait leur être salutaire. Ironiquement, c’est sûrement en raison d’une vision précisément limitée de la masculinité que tant d’hommes refusent aussi catégoriquement l’aide qui leur est ici proposée. Parler de suicide, oui, mais pas au point de parler de nos émotions quand même!
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