À quelques jours du réveillon, impossible d’y échapper, la musique de Noël pourchasse, habite et hante tous ceux qui mettent les pieds dans un centre commercial. Et même si, en ce 20 décembre, certains sont proches de leur point de saturation, avec la neige et les décorations, l’esprit de Noël finit par gagner tout le monde.
Avant de s’abandonner à cette frénésie, mieux vaut se méfier de L’enfant au tambour, du Petit renne au nez rouge et de Petit papa Noël. Si la musique de Noël évoque des souvenirs heureux, elle rappelle également qu’il est temps… d’aller magasiner. Tous se rendent sur la route des centres commerciaux. Rapapapampam.
Comme l’explique Bianca Grohmann de l’Université Concordia, coauteure d’une étude sur l’interaction de la musique et des odeurs de Noël, la musique de Noël a un rythme lent. «Et on sait que, quand la musique est lente, les gens marchent plus lentement dans une boutique, y passent plus de temps et donc achètent plus.» «Oui, la musique de Noël nous fait consommer plus», confirme Jacques Nantel, professeur à HEC Montréal et spécialiste du comportement des consommateurs. Son collègue Jean-Charles Chebat, également spécialiste du comportement des consommateurs à HEC, ajoute que la musique fait partie d’un ensemble de facteurs environnementaux utilisés pour créer une atmosphère. «Et cette ambiance a un impact énorme sur nos comportements», dit-il.
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Pour que cette atmosphère ait un impact positif, tout est question de cohérence. Récemment, les clients du Shoppers Drug Mart à Toronto n’ont pas spécialement aimé entendre résonner les clochettes du joyeux temps des Fêtes dès le 1er novembre. Plusieurs se sont plaints et ont réclamé une nuit de paix. Si bien que la pharmacie s’est résolue à remettre à plus tard la diffusion de musique de Noël.
Une règle tacite existe entre les commerçants, indique M. Nantel, et veut que la musique de Noël ne se fasse entendre (que) de 30 à 40 jours avant le jour J. La musique de Noël étant saisonnière, il ne faut pas en abuser. «S’il fait 10 degrés en novembre et qu’on pense surtout à ramasser les feuilles, la musique de Noël n’est pas congruente avec l’expérience qu’on vit, alors ça n’a pas un effet positif», explique Johanne Labrecque, professeure à HEC.
Il doit y avoir une cohérence entre l’ensemble des signaux. Ainsi, la neige, les décorations de Noël et surtout les odeurs sont autant d’éléments qui peuvent créer une atmosphère propice aux achats.
La musique de Noël est facile à identifier, mais il peut s’avérer plus complexe de dénicher l’odeur parfaite du temps des Fêtes. Dans son étude «It’s Beginning to Smell (and Sound) a Lot Like Chritmas», Mme Grohmann, de Concordia, identifie deux odeurs qui sont fortement associées à Noël : la cannelle et le pin.
Ainsi, une musique de Noël couplée à une odeur de cannelle influencerait positivement la perception du consommateur par rapport à la boutique et à ses produits. Cette magie opère parce que la musique et l’odeur sont cohérentes : elles évoquent toutes deux le temps des Fêtes.
Mais il ne suffit pas d’une odeur et d’une musique agréables pour que la magie opère. M. Chebat s’est intéressé à l’interaction de la musique et des odeurs. Il a découvert une chose étrange. Une musique avec un rythme lent a un impact positif sur les ventes. Une odeur d’agrumes produit le même effet. Cependant, c’est loin d’être une formule magique : si le rythme lent est lié à l’odeur d’agrumes en magasin, cela produit un effet négatif.
Odeur et musique nous affectent à longueur d’année, mais la période des Fêtes semble être une expérience sensorielle particulièrement intense si on considère l’ensemble des facteurs environnementaux. À cela s’ajoute une particularité : il faut acheter. Onur Bodur, directeur du Centre for Multidisciplinary Behavioural Business Research de l’Université Concordia, croit que le consommateur est particulièrement vulnérable durant cette période. «Plus la liste d’achats est longue, plus le temps est réduit et plus les décisions se compliquent, indique-t-il. Les effets inconscients de notre environnement sont amplifiés; les gens dépensent davantage et n’achètent pas nécessairement ce qui est du meilleur rapport qualité-prix.»
La bonne nouvelle dans tout ça? Dans une semaine, on n’entendra plus de chansons de Noël.
Peuple à genoux, attends ta délivrance.
On peut penser qu’on est maître de ses décisions. Reste que même la position d’un produit peut influencer un choix. «En plaçant un produit au centre de l’étagère, on augmente ses ventes de 18 % par rapport au reste», observe Onur Bodur, de l’Université Concordia. Le point critique pour l’acheteur est l’endroit où se pose son regard dans les cinq secondes précédant la décision d’achat. Et il apparaît que c’est le centre des étagères qui reçoit cette attention.
Comme cet effet est un automatisme, il serait encore plus accentué lorsque le client est sous pression, parce qu’il a beaucoup d’achats à faire en peu de temps. C’est exacte-ment le cas d’une personne qui aurait attendu au 20 décembre pour commencer ses achats des Fêtes.
Beaucoup d’argent en jeu
Pour tous les commerces de détail, décembre est le mois des affaires. «Dans certains secteurs, comme celui du jouet, décembre représente 50 % des ventes de l’année. Dans les secteurs du livre ou du sport, ça peut être de 25 % à 30 % des ventes annuelles», explique M. Nantel.
Attirer ses clients avec la musique et les odeurs devient d’autant plus importante que les commerçants ne souhaitent pas miser sur les soldes. Une règle tacite entre commerçants veut qu’il n’y ait pas de vente dans les 15 jours précédant Noël. «Mais c’est de plus en plus difficile à faire respecter», ajoute M. Nantel. Et dès qu’un détaillant fait des rabais, les autres lui emboîtent le pas. «Si décembre est votre meilleur mois et que vous soldez vos produits, vous perdez votre profit», conclut l’expert.