Le projet de loi 34 sur les tarifs et les «trop-perçus» d’Hydro-Québec n’est que «poudre aux yeux», plaide l’Institut de recherche et d’information socio-économique (IRIS). Dans une fiche technique rendue publique mercredi, le centre de recherche accuse le gouvernement de pratiques «trompeuses et mensongères» quand il promet de remettre 1,5 G$ dans les poches des Québécois.
Alors que la rentrée parlementaire se met en branle, les auteurs du document exigent que ce projet de loi soit retiré.
Le PL34, déposé par le ministre de l’Énergie et des ressources naturelles Jonatan Julien au mois de juin, retire Hydro-Québec du giron de la Régie de l’énergie du Québec pour les cinq années à venir. Le document législatif planifie de rendre 500 M$ aux consommateurs d’électricité dès l’an prochain.
Cette proposition survient après que nombre de clients d’Hydro en aient fait la demande, entre autres à travers une pétition.
Or, la mesure promise par le gouvernement de la Coalition avenir Québec (CAQ) n’est «ni un cadeau ni un rabais», selon l’IRIS.
«Le gouvernement prétend que sa proposition résulterait en une remise au profit des consommateurs. Mais le premier 500 M$, c’est de l’argent qui appartient déjà au client, qui devait de toute façon leur être remis», constate le chercheur associé à l’IRIS Jean-François Blain, auteur de l’étude.
Il observe que cette portion de la bourse aurait dans tous les cas été remise aux clients «sur un horizon de trois à cinq ans».
Selon Hydro-Québec, ce versement permettra simplement «d’accélérer» le processus. «Ces montants auraient été remis de façon étalée, soutient le porte-parole d’Hydro-Québec, Louis-Olivier Batty. Là c’est une remise accélérée. Donc un crédit sur la facture [en 2020] qui peut représenter environ 60$ pour un client moyen.»
Un autre milliard
Le reste de la somme promise par le gouvernement – soit 1 G$ – trouverait sa source dans un gel tarifaire à la première année de la Loi. Les quatre années suivantes, les prix de l’hydroélectricité suivraient le taux d’inflation (1,7%), ce qui générerait des sommes bonifiées à remettre aux consommateurs en 2024.
Selon M. Blain, toutefois, le calcul n’est pas si simple. «Il n’y a rien qui dit que la Régie aurait accordé des augmentations tarifaires de 1,7%, lance l’expert. Elle a plutôt accordé [en moyenne 0,65%] d’augmentations dans les quatre dernières années.»
Si on retient un échantillon plus large, ce chiffre s’avère toutefois plus élevé, souligne le cabinet du ministre Jonatan Julien. «Au cours des quinze dernières années, on constate que les hausses tarifaires accordées par la Régie de l’énergie représentent une augmentation légèrement supérieure à l’inflation», soutient l’attaché de presse Samuel Lachance.
Si la fiche technique de l’IRIS estime que la Régie aurait procédé à «un rajustement à la baisse des tarifs» en 2020, Louis-Olivier Batty, d’Hydro-Québec, affirme qu’un tarif fixé par la Régie aurait atteint les 2% de hausse.
Moins dans les poches?
Selon Jean-François Blain, «l’hypothèse d’économies additionnelles de 1 G$ mise de l’avant par le gouvernement ne repose sur aucune base valide».
Sous une potentielle Loi 34, les Québécois ne se verraient donc pas remettre plus d’argent, croit-il.
«Supposons qu’on laissait la Régie exercer ses compétences, elle accorderait vraisemblablement de 0,5% à 1% par année, selon les tendances actuelles», explique M. Blain.
M. Batty réplique que le processus sur cinq ans privilégié par le gouvernement est «très prévisible».
La «prévisibilité» revient aussi dans le message du cabinet du ministre Julien. «On essaie d’employer une approche plus simple et transparente», soutient Samuel Lachance.
Le rôle de la Régie
En éliminant le contrôle de la Régie de l’énergie sur les tarifs d’Hydro jusqu’en 2024, la CAQ fait fausse route, croit Jean-François Blain.
«Pourquoi la Régie est-elle si importante? Parce que c’est le seul tribunal administratif qui a une juridiction exclusive sur l’encadrement des tarifs d’Hydro-Québec, avance-t-il. Depuis une vingtaine d’années, ils fixent les tarifs en se basant sur l’augmentation des coûts.»
Selon les calculs de M. Blain et de son collègue Bertrand Schepper, chercheur à l’IRIS, les tarifs d’électricité auraient augmenté de près de 33% «si l’ensemble des demandes tarifaires d’Hydro-Québec» avaient reçu un aval depuis 2007. Dans la réalité, la Régie a permis une augmentation d’environ 19% sur cette période.
«La Régie, c’est le seul chien de garde indépendant qui dispose d’une expertise et se prononce sur la justification des tarifs. Les tarifs d’Hydro ne peuvent pas être mieux fixés» – Jean-François Blain.