Dès son élection comme chef du Bloc, on pourrait se demander si Yves-François Blanchet ne venait pas, une fois proclamé chef de la formation décimée, de se dénicher un job de chauffeur de corbillard.
Une telle conclusion, manifestement hâtive, faisait abstraction de considérations jusqu’alors méconnues: le talent politicien de l’ex-commentateur de RDI.
Habile communicateur et au courant de ses dossiers, le néo-leader a fait un sacré travail de reconstruction du parti, partant ensuite à la reconquête de l’électorat perdu.
Résultat? En l’espace d’un minuscule moment, les derniers sondages annoncent la possibilité, voire la probabilité, d’une députation bloquiste quasi aussi nombreuse que jadis.
Un exploit, rien de moins, et voilà une belle nouvelle: quoiqu’on en pense, le Bloc s’est assuré un poste d’incontournable constructeur du Québec moderne, ne serait-ce que par les gains, énormes, réalisés à Ottawa.
Pensons, pour seuls exemples, aux réformes sur l’assurance-emploi et à l’enjeu du déséquilibre fiscal.
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Cela dit, nombre des tactiques employées par Blanchet méritent analyse, laquelle révèle maintes contradictions embarrassantes, voire des arguments fallacieux.
En matière de laïcité, d’abord.
Non sans savoir que la quasi-totalité des électeurs de son parti appuient la loi 21 (95 %, selon un sondage), le chef balance dès le début de la campagne l’électrisant «La laïcité, c’est nous!».
Ah bon.
Quel rapport avec une formation fédérale, au fait? Oserait-on plaider un tout aussi virulent «L’éducation, c’est nous»? Bien sûr que non, cette compétence étant de juridiction québécoise.
Alors, comment en irait-il différemment de la laïcité?
Que souhaite faire Blanchet, au juste? Obliger les juges fédéraux à retirer leur kippa, violant dès lors la séparation des pouvoirs? Forcer Jagmeet Singh à enlever son turban?
Réalisant potentiellement l’ironie de l’affaire, Blanchet affirme en conférence de presse qu’une «campagne fédérale n’est pas l’endroit pour parler de laïcité québécoise»! Faudrait se brancher…
Toujours dans le rayon de l’identitaire, le leader bloquiste y allait cet été d’un puissant énoncé: «Les racistes n’ont pas leur place au Bloc!»
«Wow», me suis-je dit. Enfin un message clair et sans équivoque. Bravo!
Surpris ainsi d’apprendre, comme tout le monde, qu’au moins quatre candidats bloquistes actuels auraient diffusé sur les réseaux sociaux, donc publiquement, des propos absolument disgracieux, remettant notamment en cause l’intelligence des musulmans, appelant à soutenir Marine LePen et, le plus effroyable, qualifiant lesdits musulmans de «voleurs, violeurs et consanguins».
La réponse de Blanchet? Une espèce d’excuse collective tarabiscotée sentant tout sauf la sincérité.
Pire: malgré la requête générale, il permet à ces mêmes candidats de demeurer en poste, eux qui, selon les prévisions, risquent fort d’être élus lundi prochain.
Un député bloquiste qui qualifie les musulmans de violeurs en série? Pas sûr que Bouchard ou Duceppe auraient accepté pareille ignominie.
Enfin, autre contradiction gargantuesque, cette fois en matière d’environnement: si quelqu’un cherche un jour la meilleure manière d’y souffler le chaud et le froid (sans mauvais jeu de mots), Blanchet fournit la réponse.
Suffit d’abord de faire des publicités électorales plaidant que «l’énergie propre, c’est nous», écorchant de ce fait toutes les énergies hors Québec jugées polluantes.
Ensuite, jeu d’enfants, il s’agira d’accorder son appui au troisième lien et au mégaprojet GNL Québec (lequel prévoit la construction d’un gazoduc transportant le gaz naturel de l’Ouest vers une usine de liquéfaction au Saguenay) et, une fois questionné sur le paradoxe patent, d’admettre qu’il ne peut en être autrement, ces deux projets relevant de la compétence québécoise!
Pratique, quand même. En somme, l’énergie propre, c’est nous, sauf lorsque vient le temps de le prouver.
Venant d’un ex-ministre de l’Environnement s’étant déclaré «partenaire des pétrolières» (Le Devoir, 2013), ayant permis le forage de l’île d’Anticosti et, sans autorisation du BAPE, le projet de Ciment McInnis, ce n’est pas trop surprenant, au final.
La morale de l’histoire? Vivement le retour du Bloc.
Mais on aurait souhaité qu’il se fasse sur la base de valeurs et de principes, et non sur celle d’arguments fallacieux ou de paradoxes insolubles.