Au cœur de Santiago, épicentre du grabuge chilien. Grabuge? Euphémisme, mettons.
À peine les valises déposées, une marche de 10 minutes nous amène dans une manif à vélo repoussée par des blindés, lesquels offrent un cocktail de lacrymogènes et de jets d’eau assez fulgurants, merci. Jamais ne m’avait-on souhaité si aimablement la bienvenue.
Le président Piñera ne l’avait pas vue venir, celle-là: une simple hausse du prix de la passe annuelle de métro devait provoquer, en octobre dernier, le cataclysme.
Faut dire, remarquez bien, que le régime l’a bien cherché: on parle de l’un des pays aux plus fortes inégalités sociales.
D’un système ayant fait siennes, depuis Pinochet, les thèses économiques débiles de l’école de Chicago. Un exemple? L’eau potable est… payante. Les traitements pour le cancer? Idem, ou pratiquement, le régime public étant incapable de soigner les plus inoffensifs d’entre eux.
Ici encore plus qu’ailleurs, mieux vaut être beau, riche et en santé, que l’inverse.
Croyez-en la parole de Pelado, symbole de la résistance. Atteint de leucémie – ce qui n’empêche pas les flics et les militaires de taper dessus dès qu’ils l’aperçoivent dans une manif – ce dernier me lance, regard en feu, une phrase qui me hante depuis: «In Chili, either you’re rich, either you die.» Merci de ta franchise, symbole. Pis lâche pas.
Je le quitte, réflexion suivante à l’esprit: comment nos systèmes ont-ils pu produire autant d’improbités, d’iniquités et d’anachronismes? Le tout, bien évidemment, sous l’œil apathique de tout un chacun.
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La présente révolte populaire oblige, à moins d’une candeur qui ferait honte à Voltaire, de constater l’indubitable: ce gouvernement s’approche inexorablement de la zone, qu’on pensait révolue, du fascisme.
Les répressions y sont, croyez-en ma parole, de toute beauté.
D’inoffensifs chants dans la rue se terminent en attaque manu militari (au sens propre, cette fois), les tanks pourchassant l’un et l’autre, même plusieurs centaines de mètres plus loin (meilleure façon, croyez-moi, de tester son cardio).
Mieux: quelques jours après mon arrivée, des flics balancent des lacrymos par les fenêtres d’un cinéma du coin, où quelques manifestants s’étaient réfugiés.
Une crame totale, édifice perdu, d’autres morts. On pourrait évidemment aussi parler des 65 femmes disparues sous le coup des forces de l’ordre. Idem pour trois leaders féministes, torturées avant d’avoir trouvé la mort, dont une par…pendaison.
Une dernière? En pleine célébration du réveillon, plusieurs dizaines de milliers de bonnes gens ont envahi les lieux. Chants, danses, feux d’artifice, enfants partout, barbe à papa. À peine une heure plus tard, et sans événement digne de mention, l’odeur des lacrymos se fait sentir.
Heureusement, la néo-amie Paloma, documentariste de son métier, avait prévu le coup en me fournissant le kit du joyeux fêtard: un masque à gaz, des lunettes de ski alpin, et un foulard (avec imprimé de Mafalda, ô ironie).
Inquiète de mon caractère, qu’elle avait déjà noté comme étant un peu cowboy, elle m’écrit ces mots quelques heures avant la boum (c’est le cas de le dire): «One way or another, you always have to keep a careful attitude to the police. If we know that they shoot tear bombs, we must always look at the sky because they leave a trail of smoke for example and try to prevent the impact zone. If the car spent water comes, it throws water, you have to try to find places to cover yourself, always try not to get water on your skin and use the goggles. I have the 3 antidotes against the irritating chemicals they use.»
Ça change du réveillon de grand-maman Bisaillon…