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Energir subventionne le passage de l’hydroélectricité au gaz naturel

gaz naturel
Victorine Michalon Brodeur - Métro

Alors que les scientifiques appellent à abandonner les énergies fossiles, Énergir tente de convertir les consommateurs d’hydroélectricité au gaz naturel. Une stratégie vivement dénoncée.

La semaine passée, Énergir incitait par courrier les PME à passer au gaz naturel. Une lettre massivement distribuée dans les commerces de Montréal décrit les arguments: de grosses économies en frais d’énergie, de près de 30% pour les abonnés d’Hydro-Québec, et 40% pour les consommateurs de mazout, mais aussi des subventions, «jusqu’à 25 000$ par appareil». Elles sont bonifiées pour ceux qui désirent délaisser le mazout.

Sur le site de l’entreprise, on constate que l’offre concerne aussi le secteur résidentiel. Pour un appartement chauffé à l’électricité pour un montant annuel de 3000$, les économies escomptées en passant au gaz naturel seraient de 468$. L’installation est également subventionnée. «Pour faciliter votre passage au gaz naturel, Énergir offre en tout temps des rabais lors de l’achat et de l’installation de nouveaux appareils», lit-on sur le site.

Nous avons appelé le service à la clientèle de l’entreprise en tant que cliente d’Hydro-Québec. L’offre a été confirmée: tout le monde est éligible à ces rabais à l’achat et à l’installation d’appareils au gaz naturel.

L’entreprise prétend «ne pas viser à remplacer l’électricité par le gaz naturel» et se concentrer sur le mazout, les avantages de l’offre pour quitter l’hydroélectricité n’étant que «des éléments indicatifs» et non des arguments de vente.

Or, la lettre distribuée à Montréal, où moins de 6% des unités de logement se chauffent encore au mazout, a surtout touché des consommateurs d’électricité.

Destinataire comme tant d’autres du courrier promotionnel, un commerçant de Rosemont dont le local est chauffé à l’électricité nous a partagé son incrédulité.

«Nous avons été très surpris de recevoir cette promotion d’Energir. Nous chauffons à l’électricité et, en 2020, on nous propose des subventions pour passer au gaz, qui émet beaucoup plus de gaz à effet de serre. Comme acteur sur le terrain, alors qu’on nous parle d’urgence climatique, quel message devons-nous comprendre de ce type de promotion?», dit-il.

L’homme en question demande qu’on ne publie pas son nom.

Une manœuvre décriée par les environnementalistes et les scientifiques

Contacté par Métro, l’organisme Équiterre juge «incompatibles avec les objectifs de réduction des émissions de GES du Québec ces incitatifs à l’utilisation de combustibles fossiles plutôt qu’à l’utilisation d’électricité produite de manière renouvelable», selon la porte-parole Caroline Brouillette.

Karel Mayrand, de la Fondation Suzuki, abonde dans le même sens. «Les modélisations réalisées pour le gouvernement du Québec démontrent que pour atteindre nos objectifs climatiques, il faut convertir la quasi-totalité du parc de bâtiments à l’électricité et ce, le plus rapidement possible. Énergir doit cesser ces pratiques et Québec doit retirer toutes les subventions à la conversion vers le gaz naturel», dit-il.

Énergir met de l’avant sa volonté «d’injecter plus de gaz naturel renouvelable dans le réseau gazier» et de «remplacer les produits pétroliers plus émissifs, par du gaz naturel».

Questionnée sur la nature du gaz qu’elle achète par courtier, l’entreprise nous a répondu ne pas être en mesure de quantifier la part de gaz de schiste, extrait par fracturation hydraulique. Mais elle admet que le gaz fossile représente plus de 99% du total, contre 1% de Gaz Naturel Renouvelable (GNR) obtenu par la biométhanisation des déchets. Un pourcentage imposé par le gouvernement.

Une énergie «de transition»?

La Politique Énergétique 2030 du gouvernement québécois, en vigueur depuis 2016 en attendant le Plan d’Économie Verte, donne le statut d’«énergie de transition» au gaz naturel. Or, pour le biophysicien Marc Brullemans, membre du Collectif scientifique sur la question des gaz de schiste et des enjeux énergétiques au Québec, ce statut est un non-sens.

«Au vu de la remontée du méthane atmosphérique, des seuils de bascule climatique que nous pourrions rencontrer en ce siècle, de la nécessité de devenir rapidement carboneutres, des émissions cachées de cette filière énergétique, on ne peut aujourd’hui présenter le gaz naturel comme une énergie de transition. Le faire serait imprudent et grandement suspect», dit-il.

Énergir le présente pourtant comme une source de réduction des GES. Cet argument n’est valable qu’en comparant la consommation du gaz et celle du pétrole, selon M. Brullemans. Si on intègre dans le calcul de son empreinte écologique sa production et son transport, son bilan environnemental est lourd.

Interpellée, Johanne Gélinas, PDG de Transition Énergétique Québec, défend la prérogative des entreprises de choisir leur conversion énergétique. Son organisme coordonne la mise en œuvre de l’ensemble des programmes et des mesures nécessaires à l’atteinte des cibles en matière énergétique et subventionne les industries passant au gaz avec le programme Écoperformance.

Normand Mousseau, professeur de physique à l’Université de Montréal et directeur académique de l’Institut de l’énergie Trottier à Polytechnique Montréal, estime que le gouvernement doit changer les règles pour parvenir à zéro émission dans trente ans.

«Que des écoles publiques ou des hôpitaux passent au gaz, c’est inacceptable. On n’est plus dans une optique d’énergie de transition, on n’a pas le temps de soutenir des investissements massifs dans une énergie fossile alors que l’hydroélectricité, propre, est si disponible chez nous», dit-il.

Émettant 83g de CO2 par mégajoule produit lors de sa combustion contre 112g pour le mazout, le gaz naturel reste une énergie fossile au coût environnemental bien plus élevé que celui de l’hydroélectricité, qui ne produit que 8g de CO2 par mégajoule.

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