La Révolution tranquille n’a rien accompli que ne saurait détruire en cinq secondes notre chauvinisme légendaire. Lorsqu’est évoquée la possibilité qu’un petit gars de l’Abitibi soit élu pontife suprême, c’est tout le Québec qui sonne les cloches de la célébration. Marc Ouellet pourrait devenir pape, et cela ne réjouirait pas seulement Régis Labeaume et les trois ou quatre personnes qui manifestent de temps à autre devant la Clinique Morgentaler, coin Saint-Laurent et Saint-Joseph.
Ne faites pas comme si vous étiez insensibles à ces vanités nationalistes. Même moi, qui ai pourtant signé en bonne et due forme ma demande d’apostasie pour protester contre toutes sortes d’affaires en 2009, j’ai ressenti un petit quelque chose à l’idée que, après la chanteuse la plus célèbre au monde, c’est le pape en personne qui viendrait de chez nous. Notre pape, qu’on s’est plu à détester lorsqu’il n’était qu’archevêque.
Le cardinal Ouellet a tout ce qu’il faut pour être pape : il parle plusieurs langues, il va bientôt avoir 69 ans, ce qui en ferait un assez jeune souverain pontife, il est contre le mariage gai et il est plus favorable au viol qu’à l’avortement. En plus, il vient d’une province d’infidèles qui ne demandent qu’à être remis sur le droit chemin : notre messe du dimanche est animée par un païen et la seule flanelle qu’on ait de sainte, c’est celle du Tricolore. À Rome, ils doivent bien se dire que le meilleur moyen de nous rappeler ce que signifient nos 900 000 toponymes à saveur religieuse et nos 100 clochers, c’est peut-être de nous ériger un pape à nous.
Les Québécois ont troqué les valeurs de l’Église contre des préoccupations profanes, comme l’épilation au laser, les confidences de Michèle Richard dans La Semaine et le nombre de Likes obtenus sur Facebook. Pourtant, les Québécois avaient été jusqu’à tout récemment de vraies grenouilles de bénitier. Qu’est-il arrivé pour que le Québec perde la foi?
Non, mais c’est vrai, qu’est-il advenu de notre ferveur catholique? Est-ce que les scandales des prêtres pédophiles seraient venus à bout de la foi? L’inégalité des sexes au sein de l’Église aurait-elle eu raison de nous? Les Québécois tiendraient-ils tant que ça au mariage entre conjoints de même sexe? Au droit à l’avortement? Toutes des choses dont on se rappellera sûrement lorsque Mgr Ouellet saluera sa terre natale en se choisissant un nom de pape. Innocent 1er? Non, celui-là a déjà été pris.