La crise du logement abordable est bien réelle à Montréal et ailleurs au pays, déclarent à l’unisson politiciens de l’opposition, des experts et des organismes, qui pressent le gouvernement fédéral d’agir pour contrer ce problème. À commencer par reconnaître son existence et investir massivement en développement de logements sociaux. Le Parti vert et le Nouveau Parti démocratique réclament notamment de nouvelles mesures du gouvernement fédéral.
La crise du logement a fait couler beaucoup d’encre à Montréal et à l’Assemblée nationale depuis plusieurs semaines. Professeur titulaire à l’École d’architecture Peter Guo-hua Fu de l’Université McGill, Avi Friedman affirme toutefois que la crise dépasse les frontières du Québec. «Dans les grandes villes comme Vancouver, Toronto et Calgary, il y a une crise énorme, déclare-t-il. Alors, c’est un problème national.»
«Avec un espèce de marché immobilier qui a été laissé à lui-même pendant des années sans vrai investissement dans le logement social et abordable, aujourd’hui on paie un peu le coût de cette négligence-là à Ottawa, que ce soit des libéraux ou des conservateurs», pense le chef adjoint du Nouveau Parti démocratique (NPD), Alexandre Boulerice, en entrevue avec Métro.
Dans son dernier budget, le gouvernement fédéral de Justin Trudeau a investi un milliard de dollars pour créer jusqu’à 4500 nouveaux logements permanents et abordables à travers le pays.
«Le budget 2021 continue de faire d’importants investissements dans le logement. Nous allons investir 2,5 milliards de dollars supplémentaires et réaffecter 1,3 milliard de dollars de fonds existants pour accélérer la construction, la réparation ou le soutien de 35 000 logements abordables», selon le fédéral.
«Les gouvernements du Canada et du Québec ont annoncé en octobre dernier qu’une entente dans le cadre de la Stratégie nationale sur le logement se traduira par un investissement conjoint de près de 3,7 milliards de dollars sur 10 ans pour améliorer les conditions de logement de nombreux ménages québécois dans le besoin», indiquent des documents de la SCHL.
C’est beaucoup trop insuffisant pour régler la crise, selon le Parti vert du Canada (PVC) et le NPD.
Investir davantage en logement social
Tous les intervenants consultés par Métro pensent que les différents paliers gouvernementaux doivent investir rapidement et massivement dans la construction de logements abordables et sociaux afin de rattraper le retard accumulé.
En effet, au Québec seulement, le FRAPRU demande la construction de 50 000 logements sociaux sur cinq ans. Cependant, selon Québec Solidaire, la CAQ a enregistré le «pire bilan de l’histoire du programme AccèsLogis» en 2020, alors que 620 nouvelles unités ont été construites.
«Ça empêche carrément la planification et le développement de projets qui seraient pourtant prêts à être réalisés… 500 unités pour tout le Québec, c’est une goutte d’eau dans l’océan des besoins. Alors qu’il y a 10 000 logements qui sont dans les cartons des groupes de ressources techniques et qui pourraient partir en chantier dès cette année», affirme la porte-parole du Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU), Véronique Laflamme.
Puisque les sommes sont insuffisantes, la mairesse de Montréal, Valérie Plante, a déjà annoncé que la Ville n’atteindra pas son objectif de construire 6000 logements sociaux dans son présent mandat.
Protéger les locataires contre les évictions
Annamie Paul, chef du Parti vert du Canada, propose d’instaurer une nouvelle suspension nationale des évictions. Une solution temporaire intéressante, selon le FRAPRU.
L’année dernière, en raison de la crise sanitaire, des provinces canadiennes avaient suspendu les expulsions dans leurs régions respectives. Au Québec, cette levée s’est terminée le 20 juillet dernier.
Par ailleurs, le PVC suggère d’introduire une prestation d’urgence pour les locataires résidentiels à risque d’être évincés de leur logement. «Ce n’est pas cohérent d’avoir une prestation d’urgence pour les locataires commerciaux de la part du gouvernement fédéral pour éviter qu’ils soient évincés de leur location, mais de ne pas offrir la même chose pour les gens de faible revenu qui ont perdu leur emploi ou perdu une partie de leur revenu», indique Annamie Paul.
Selon Avi Friedman, il serait effectivement nécessaire de «geler» la situation pendant environ six mois, le temps d’introduire des solutions efficaces. «Au mois de juillet, quand les gens vont devoir déménager à Montréal, on va avoir beaucoup de gens sans logement», souligne-t-il.
Une crise réelle
Véronique Laflamme trouve que le gouvernement provincial joue sur les mots en réduisant la crise du logement au taux général d’inoccupation au Québec qui se situe en moyenne à 2,7% selon la ministre québécoise des Affaires municipales et de l’Habitation, Andrée Laforest.
«Si le taux général d’inoccupation au Québec, qui était le plus bas en 15 ans l’an passé, a augmenté un peu à Montréal, c’est pour des raisons très très temporaires liées à la pandémie», explique-t-elle.
Or, Mme Laflamme ajoute que la crise du logement vécue par les locataires n’est pas seulement due à une pénurie, mais aussi au prix des loyers disponibles, trop élevés.
Pour le FRAPRU, l’urgence est surtout de mettre en branle immédiatement des politiques suffisantes pour faire face à cette crise.
«Une crise des sans-abris»
Pour Annamie Paul, le gouvernement fédéral doit également déclarer «une crise des sans-abris», en plus de la crise du logement.
Comme à Montréal, des campements d’itinérants continuent de prendre de l’ampleur dans d’autres grandes villes du pays. Selon Mme Paul, c’est le symbole d’une absence de service. «Ce sont des résidents et il faut absolument prendre en compte leurs vœux. Le problème, c’est qu’il n’y a pas beaucoup d’alternatives», émet-elle.
Même son de cloche du côté d’Alexandre Boulerice qui estime que les mesures répressives ou policières ne sont pas la solution à ce problème. «Je pense respecter le choix des gens qui vivent ces difficultés-là», ajoute-t-il.
Assurant qu’il y a assez de lits dans les refuges, la mairesse de Montréal, Valérie Plante, a déjà annoncé que la Ville ne permettra pas les campements d’itinérants cet été.
Depuis le début de la pandémie, des centaines de lits ont été déployés pour accueillir des personnes itinérantes à Montréal. Cependant, rien ne confirme que ces mesures d’urgence seront prolongées au-delà de la date butoir du 30 juin.