S’il n’y a pas «mort d’homme» ou «blessures graves», une plainte d’un citoyen contre le comportement dérogatoire au Code de déontologie policière au Québec a toutes les chances d’être rejetée en raison d’une interprétation stricte de la loi en la matière. Et comme de fait, 65% des griefs de citoyens, notamment des communautés culturelles, sont déclarés irrecevables. La secrétaire générale du Commissaire à la déontologie, Marie-Ève Bilodeau, appelle ainsi à une modification de cet outil, qui n’est selon elle plus adapté à la réalité actuelle.
En décembre 2021, un Montréalais d’origine hispanophone, Raphael Bianchi, a reçu une contravention de 550$ alors qu’il tentait d’intervenir à la suite d’un accident de vélo impliquant un autre citoyen. Il l’a contestée et a gagné sa cause devant le tribunal, alors que sa plainte en déontologie a été rejetée.
«Le commissaire à la déontologie m’a dit que les policiers avaient le droit d’intervenir à ce moment-là», explique-t-il, en entrevue avec Métro. De plus, dans son cas, il n’y a pas eu de blessures graves, encore moins la mort.
Le 636 problématique
La plupart des plaintes en déontologie sont portées à la suite d’une interpellation policière jugée abusive par la personne visée. Faire la démonstration que le policier a agi à l’encontre du code déontologique à travers la carte d’appel, le rapport d’événement ou encore les notes personnelles du policier relève souvent de l’exploit pour les victimes, qui n’ont pas accès à ces données.
L’article 636 du Code de la sécurité routière précise qu’un «agent de la paix, identifiable à première vue comme tel, peut […] exiger que le conducteur d’un véhicule routier immobilise son véhicule. Le conducteur doit se conformer sans délai à cette exigence».
«Il y a des zones grises, comme la question de l’interception 636, soutient la DG du Commissaire à la déontologie. On sait qu’il y a des enjeux avec ça, on est conscient de ça. Nous, ce qu’on dit, c’est qu’on est en faveur de baliser les pouvoirs des policiers.»
Or, en matière de plainte en déontologie, la loi parle de «mort ou blessures graves» pour qu’une doléance soit recevable, ce qui exclut presque automatiquement les dossiers de profilage racial ou d’interpellation avec biais, entre autres.
C’est là où la loi n’est pas claire. La discrimination peut laisser des blessures tout aussi graves au niveau psychologique, mais ce texte législatif ne le prévoit pas.
Marie-Ève Bilodeau, secrétaire générale de l’organisme Commissaire à la déontologie
La loi, à l’époque où elle a été écrite, ne faisait pas référence à des blessures psychologiques comme étant graves, fait remarquer Marie-Ève Bilodeau, qui reconnait pourtant que «lorsque les policiers ont des pouvoirs discrétionnaires et qu’ils interviennent avec des biais, c’est sûr que cela peut avoir un impact sur les citoyens».
Méconnaissance du système
Marie-Ève Bilodeau précise que son organisme a déjà documenté la question des abus liés aux mauvaises utilisations de l’article 636. « Il faut que le gouvernement nous donne des outils différents », soutient-elle.
La loi sur le sujet n’est pas à elle seule en cause dans ce dossier, croit de son côté le directeur du Centre de recherche action sur les relations raciales (CRARR), Fo Niémi. Son organisme aide les victimes à déposer leur plainte. Pour lui, la mauvaise formulation des griefs, logés par les citoyens eux-mêmes, y serait pour beaucoup également. Ces derniers laisseraient entre autres passer trop de temps – souvent plus d’un an – avant de porter plainte.
Mais avec le projet de loi 18 [sur la réforme des corps de police au Québec], le gouvernement songe à fixer ce délai à deux ans, ce qui donnerait plus de temps aux citoyens de se reprendre psychologiquement et se décider.
Fo Niémi, directeur général du CRARR
Malgré leur bonne formulation, environ 5% des plaintes déposées par le CRARR pour des victimes alléguées sont rejetées. «Je comprends la déception, soutient Mme Bilodeau. On a des gens, chez nous, qui sont préoccupés, concernés par le phénomène. Mais le problème, c’est qu’on travailler à l’intérieur d’une loi qui est quand même limitée, elle n’est pas parfaite. On fait des représentations pour améliorer les choses.»
Un coup de sonde mené par le Comité en déontologie policière auprès des services policiers confirme la perception négative qu’ont les représentants des forces de l’ordre à l’égard du système déontologique. «Seulement 25% des policiers et enquêteurs ayant pris part au sondage considèrent que le code de déontologie, pierre d’assise du système, est adapté à la réalité de leur travail», note le sondage.
Le projet de loi 18 sur la réforme des corps de police au Québec n’est toujours pas adopté.