Alors que le débat s’entamait au sujet de la procréation assistée, on se disait qu’au moins, au Québec, rien ne pourrait remettre en question l’homoparentalité. Or il n’a fallu que quelques jours pour qu’on y dérape. Des gens qui se drapent de la vertu du questionnement légitime en viennent à dénoncer une sorte de lobby gai qui serait réfractaire au débat et inconscient, au fond, des vrais enjeux humains et éthiques. Or, oui, ces questionnements sont légitimes, mais ils renvoient pour la plupart à une chaîne d’enjeux éthiques qu’on a réglé dans d’autres circonstances il y a de cela plusieurs années. On peut, bien sûr, y revenir, tout remettre en question, mais en ne tenant pas compte l’issue des débats du passé, on se dirige dangereusement vers un recul des droits des femmes, des homosexuels et des handicapés. Voici les différents terrains glissants qui se sont établis dans les derniers jours.
«Il faut penser aux droits de l’enfant»
C’est fou comme soudainement, penser au bien être d’un enfant revêt une importance inexistante lorsqu’il est issu de méthodes traditionnelles de conception. J’ai même vu quelqu’un ressortir un document démontrant qu’on n’avait pas fait la preuve hors de tout doute que les enfants issus de couples homosexuels n’en gardaient pas de séquelles. Alors que l’on dénonce le fait que des enfants naissent dans des situations qui sont jugées comme non-idéales, on oublie que personne ne naît dans une famille parfaite. Même si des études démontraient hors de tout doute que les enfants issus de familles non traditionnelles deviennent des dégénérés, au nom de quoi pourrait-on remettre en question l’existence de ces modèles familiaux?
Bien sûr, l’argument pour dire que dans le cas de ces enfants, c’est pas pareil, est qu’au lieu de «sauver» un enfant de l’indigence en l’adoptant, on en «fabrique un de toutes pièces», un qui n’a rien demandé, précise-t-on, supposant que les autres enfants aient demandé à naître au tiers-monde, dans un milieu violent ou d’un politicien véreux. On sous-entend, au fond, que l’enfant «n’a pas demandé à vivre dans une famille non traditionnelle».
Un enfant peut naître dans une famille multipoquée qu’on s’en désole comme on devrait sans y pouvoir quoi que ce soit. La grossesse accidentelle devient une sorte de privilège inaliénable. Et c’est bien correct. Pourquoi? Parce qu’on a réglé la question déjà. Pour penser au bien de l’enfant sans biais normatif, il faudrait envisager la stérilisation des personnes pauvres, handicapées, alcooliques, violentes, toxicomanes, de toutes les personnes capables d’avoir un enfant naturellement sans pouvoir lui garantir un milieu de vie idéal, voire parfait. On se retrouve sans s’en être rendu compte dans un questionnement éthique beaucoup plus grave réglé quelque part dans les années 50 : celui de l’eugénisme.
«Les enfants ne sont pas un produit que l’on peut se procurer pour satisfaire nos besoins égoïstes».
Avoir des enfants a toujours été un curieux mélange d’individualisme et de don de soi. À une certaine époque on faisait des enfants pour aider sur la ferme, et on en faisait suffisamment pour s’assurer qu’il en resterait assez pour subvenir à nos besoins lors de nos vieux jours. On en a aussi fait pour gagner notre place au paradis. Aujourd’hui, on fait des enfants pour toutes sortes de raisons, aucune d’entre elle ne relevant du choix rationnel : sinon, personne n’en ferait. Je me demande à partir de quel moment a-t-il été permis de juger les raisons du voisin.
Par ailleurs, comme le soulignait brillamment Alban Ketelbuters dans Le Devoir, cet individualisme que l’on dénonce aujourd’hui s’inscrit dans une conception individualiste des libertés qui ont permis aux féministes de faire valoir le droit de disposer de leur propre corps. En vertu de cet individualisme, nous avons jugé acceptable que des femmes décident aussi égoïstement soit-il qu’elles ne voulaient pas mener à terme une grossesse. Est-ce que l’on veut aussi remettre ça en question en ce beau matin d’avril 2014?
Dans son billet intitulé «Utérus à louer, ovules à vendre», Denise Bombardier évoque le «fantasme narcissique de gens qui n’acceptent pas les limites physiques de la nature». Afin d’être cohérente, elle va jusqu’à remettre en question les dons de sperme. Je ne me mettrai pas à dresser ici une liste de décisions pas toujours éthiques que nous prenons à l’extérieur des champs de compétence de la nature.
«Je ne suis pas à l’aise avec le fait que la procréation assistée soit remboursée aux personnes fertiles».
On peut évidemment, je l’ai écrit déjà, remettre en question l’intervention de l’État dans la procréation, selon ces allégeances fiscales. Après tout, avoir des enfants n’est pas un droit. Mais la plupart des gens qui le font oublient le cheminement qui a conduit à l’adoption de la loi en disant que le programme ne devrait rembourser que les personnes infertiles. Le programme ne vise pas qu’à pallier l’infertilité. «L’encadrement des pratiques de procréation assistée au Québec vise à diminuer de 25 % le nombre de grossesses multiples issues de la fécondation in vitro, peut-on lire dans la description du programme. Ces grossesses multiples sont responsables de plusieurs naissances prématurées. Les bébés prématurés ont plus de risques d’avoir des complications de santé et des séquelles dont certaines sont permanentes. C’est pourquoi le programme privilégie l’implantation d’un seul embryon à la fois dans l’utérus de la femme».
En réponse à ça, plusieurs personnes se demandent légitimement s’il ne vaudrait pas mieux encadrer la quantité d’embryons implantés dans les processus de fécondation in vitro. J’imagine que si cette éventualité avait été la meilleure des options, c’est ce que le législateur aurait fait. Peut-être qu’il en a décidé autrement pour éviter les procédures illicites et non médicalement encadrées.
Quant à ceux qui considèrent qu’il n’y a pas eu de débat, c’est semi-vrai. Oui, le débat s’est fait rapidement lorsque Julie Snyder a défendu le projet de loi en 2008 devant un ministre de la santé pas chaud à l’idée de rendre la procréation assistée si accessible. Une autre consultation publique a été menée par le ministre Réjean Hébert en 2013, dans une discrétion, il faut l’avouer, légendaire. Cependant, les groupes intéressés (pas des gens qui ont appris l’existence du programme grâce à Joël Legendre), y compris des éthiciens, ont produit des mémoires. Ceux qui sont en mal de réponses devraient se réjouir : selon les communications du Commissaire à la santé et au bien-être, le rapport du commissaire devrait être rendu public en juin. Le nouveau ministre de la Santé Gaétan Barrette pourra alors prendre une décision éclairée (je fais ici comme si sa décision n’était pas déjà prise).
«Je ne suis pas à l’aise avec le fait que l’on ait recours à des mères porteuses».
Le débat sur la gestation pour autrui ressemble en quelques points à celui sur l’avortement et à celui sur la prostitution en vertu desquels le droit de la femme à disposer de son corps comme elle entend rencontre d’autres dilemmes moraux, comme l’exploitation du corps des femmes et notre conception de la vie du fœtus. Mon opinion – très personnelle, mais quand même partagée par d’autres -, en tant que féministe, est que puisque ces phénomènes existent, autant les encadrer. Ce qui a conduit Hilary Clinton à conclure que l’avortement devait être «légal, sécuritaire, et rare» devrait nous guider dans plusieurs enjeux qui touchent le corps des femmes.
