À table

Gare aux applications mobiles en santé

Les citoyens doivent faire très attention lorsqu’ils choisissent et utilisent l’une des milliers d’applications mobiles concernant la santé, estiment plusieurs médecins et spécialistes.

Le domaine de la santé n’a pas échappé à la montée en popularité des applications mobiles. Des nouvelles émergent presque chaque jour, offrant des plans d’entraînement, de l’information sur de saines habitudes de vie ou sur diverses maladies en plus de journaux de bord sur une grossesse ou des maladies chroniques. Certaines prétendent même pouvoir capter la pression artérielle ou identifier des mélanomes.

Sur son site internet, la Food and Drug Administration, aux Etats-Unis, indique que 500 millions d’utilisateurs à travers le monde auront recours à une application mobile en santé d’ici à 2015 et qu’en 2018, 50% des 3,4 milliards de personnes en auront téléchargées, selon les évaluations de l’industrie. D’autre part, un Canadien sur trois estime que les applications mobiles en santé faciliteront l’accès aux soins dans les prochaines années, selon un rapport de PricewaterhousCoopers publié en juin 2013.

Si certaines applications ont démontré leur utilité, estime Nathalie Clairoux, bibliothécaire en santé à l’Université de Montréal, comme celles qui envoient des messages de motivation pour arrêter de fumer, d’autres le sont beaucoup moins. Elles soulèvent des questions de fiabilité et de protection des renseignements personnels, en plus de présenter des risques d’auto-diagnostic et de paranoïa.

Le Far West
Dans le cadre d’une étude publiée en 2013 dans le Journal of Medical Internet Research, des chercheurs canadiens ont examiné 295 applications liées au cancer, que ce soit par de l’information, de la prévention, de la détection précoce ou de la gestion de la maladie. Ils ont conclu qu’il manquait généralement de preuves sur leur utilité, leur efficacité et leur sécurité, et qu’il serait nécessaire de créer une liste blanche basée sur les évaluations d’une autorité compétente scientifique.

«C’est le Far West. La grosse majorité des applications ne sont pas approuvées par un organisme gouvernemental.» -Nathalie Clairoux, bibliothécaire en santé à l’Université de Montréal

 

En effet, selon Santé Canada, seuls les logiciels dont l’objectif est de se substituer à un instrument médical doivent se conformer au règlement sur les instruments médicaux de la Loi sur les aliments et les drogues (LAD). «Si le fabricant laisse entendre par son affichage que le produit a une fonction médicale, il n’est pas suffisant d’ajouter un avertissement indiquant que le produit n’est pas un instrument médical», a communiqué par courriel Santé Canada.

Métro a toutefois téléchargé l’application Instant Blood Pressure, qui prétend mesurer la pression artérielle en utilisant seulement un iPhone. Il suffit de placer son doigt sur la caméra du téléphone intelligent et de presser ce dernier contre sa poitrine. «Instant Blood Pressure ne doit pas être utilisé comme un instrument médical», indique un avis au moment de procéder à un premier test. Est-ce suffisant pour le soustraire à la LAD? Les résultats de cette application semblent être bien peu fiables, selon une comparaison effectuée par Métro. Les chiffres qu’elle a obtenus par le iPhone ont significativement différé de ceux mesurés simultanément par un tensiomètre.

«La force principale du web est aussi sa plus grande faiblesse: il peut rendre accessible n’importe quoi», a commenté le Dr Yves Robert, secrétaire du Collège des médecins, qui reconnaît que peu d’applications en santé sont réellement utiles et fiables. Il estime toutefois que son organisme n’a pas le temps ni le mandat de les réviser.

Comment les citoyens peuvent-ils donc faire la part des choses? Il faut se demander qui est derrière l’application, conseillent autant le Dr Robert que Mme Clairoux. «Si elles ont été développées ou parrainées par des organismes reconnus dans le domaine de la santé, il y a plus de chance que l’information qui s’y trouve soit valable», a affirmé M. Robert. Mme Clairoux suggère aussi de consulter les sites imedicalapps.com et DMDpost.com, sur lesquels sont évaluées diverses applications disponibles sur le marché.

Renseignements personnels en péril
Le Collège des médecins est particulièrement préoccupé par la protection des renseignements personnels dans le cadre de l’utilisation d’applications mobiles en santé. «Même sur les réseaux dits sécurisés, il n’y a pas d’étanchéité. Il n’y a aucune garantie que l’information transmise dans une application ne sera pas interprétée et utilisée par des tiers», a soutenu le Dr Robert.

«En arrière d’une application, il y a souvent une compagnie qui veut faire des profits. L’information concernant les médicaments que vous consommez ou l’exercice que vous faite pourrait très bien être utilisée par une compagnie pharmaceutique ou d’assurance.» -Nathalie Clairoux, bibliothécaire en santé à l’Université de Montréal

 

Le Dr Robert recommande donc d’éviter d’inscrire dans une application toute information que l’on ne souhaite pas voir en possession d’un tiers.

Risques d’autodiagnostic et de paranoïa
«Les informations trouvées sur le web et les applications mobiles ne peuvent en aucun cas remplacer un médecin», a averti le médecin de famille Gordon Rubin.

Le Dr Rubin voit régulièrement à son bureau des gens qui croient savoir quelle maladie ils ont et quelle prescription il leur faut. Le Dr Robert abonde dans le même sens. «De plus en plus de patients font des recherches avant d’aller voir le médecin et ils exigent certaines choses inadéquates ou irréalistes», a-t-il dit.

Les gens qui font des recherches pour identifier eux-mêmes leur maladie en fonction de leurs symptômes peuvent aussi être amenés à penser qu’ils ont des maladies beaucoup plus graves. «Un mal de tête n’est pas nécessairement le signe d’une tumeur au cerveau, a donné en exemple le Dr Rubin. Pour identifier une condition, il faut absolument voir un médecin qui vous pose les bonnes questions personnalisées.»

Une application prometteuse
PsyAssistance est l’une des applications en développement dont les créateurs misent sur la fiabilité et la crédibilité.

«La technologie prend une telle part dans la vie des jeunes d’aujourd’hui qu’on n’a pas le choix de miser là-dessus. Si les scientifiques ne développent pas d’application, n’importe qui va le faire, a soutenu le Dr Réal Labelle, chercheur au Centre de recherche Fernand-Séguin. On a une responsabilité sociale»

Cette application en quête d’un brevet, qui n’est pas encore sur le marché, s’adresse aux psychologues qui l’utiliseront en collaboration avec leurs patients dépressifs. Le patient, à qui sera confié un téléphone muni de l’application, pourra entrer les données relatives à son humeur quotidienne et à son calendrier d’activités thérapeutiques. Les données seront disponibles en temps réel par le thérapeute.

Selon le Dr Labelle, la plus grande innovation de cette application est le plan d’action en cas de crise suicidaire qu’elle contient. Lorsqu’un patient se sentira en crise, il pourra déclencher un système d’urgence. Le téléphone fournira d’abord de l’information et des stratégies pour calmer la personne. Si cela n’est pas suffisant, il facilitera des appels téléphoniques à des personnes de son entourage prêtes à lui porter assistance, puis à son thérapeute et finalement au 911.

Pour établir la fiabilité de l’application, cette dernière doit passer à travers tout un processus. Le Dr Labelle et son équipe ont d’abord présenté le plan à des publics de chercheurs et de cliniciens lors de deux congrès en suicidologie pour savoir si ces derniers seraient intéressés à utiliser l’application. Des professeurs d’université et des doctorants ont ensuite testé une première version de l’application. Après avoir changé des centaines de détails, les chercheurs ont demandé à deux patients dépressifs de l’utiliser. «À l’automne, on va l’évaluer en offrant une thérapie assistée par cette application à cinq personnes», a poursuivi le Dr Labelle.

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