Les chroniqueurs sont ainsi faits que quand tout le monde dit «noir», ils ressentent l’irrépressible envie de dire «blanc». Pas tous et pas tout le temps, et surtout pas, comme le croient certains, simplement pour le plaisir de s’obstiner. Mais la plupart du temps, quand tout le monde prend la même direction, il est pertinent d’aller voir ailleurs, de regarder dans l’angle mort, de casser l’apparent consensus. C’est ainsi, pense-t-on, qu’on peut dégager des nuances pour mieux éclairer une situation. Et c’est ainsi qu’obéissant à leur réflexe, certains chroniqueurs se sont sentis appelés à apporter des «nuances» à la prise de parole sans précédent des victimes de violences sexuelles. Leurs nuances se présentaient grosso modo comme suit :
- Tous les hommes ne sont pas des violeurs;
- Que fait-on de la présomption d’innocence?;
- Des paroles un peu déplacées ne sont pas une agression;
- Dénoncer des mains baladeuses risque de banaliser les «vraies» agressions;
- C’est rendu presque une mode d’avoir été agressée, si bien que les «non-victimes» pourraient se sentir à l’écart;
- Toutes les déclarations ne sont pas fausses, mais certaines sont à coup sûr des règlements de comptes;
- J’ai une amie fille qui s’est fait taponner et à qui ça n’a pas fait un pli;
- Que fait-on de celles qui ne veulent pas parler?;
- C’est bien beau de révéler tout ça sur Twitter, mais à quoi ça sert?;
- Des hommes aussi sont victimes de violence sexuelle;
- Les femmes fortes savent faire la part des choses.
Dans toute discussion publique, les nuances sont importantes. Mais les nuances évoquées ci-haut sont-elles réellement des nuances, ou tout simplement le discours dominant des années antérieures? Que la présomption d’innocence soit un pilier de notre système juridique, on le sait. Que tous les hommes ne soient pas des violeurs, c’est une évidence. Qu’il y ait à l’occasion de fausses accusations, c’est un fait. Que certaines femmes soient plus sensibles que d’autres? Sûrement. Qu’il y ait une distinction à faire entre une parole offensive et un viol au fond d’une ruelle, ça tombe sous le sens.
Ce n’est pas parce qu’une chose est vraie qu’elle mérite toutefois d’être dénoncée. Surtout quand cette chose a fait l’objet des mythes les plus persistants par le passé. Le cas échéant, c’est un peu comme si un vaste mouvement se levait enfin pour dire que «tous les homosexuels ne sont pas pédophiles» et qu’on s’entêtait à dire que, «oui, mais quand même, des homosexuels pédophiles, ça existe».
En fait, là où il y avait un besoin de nuances, c’était dans une culture du viol qui alimentait le mythe de la femme vengeresse, qui blâmait les victimes, qui accordait le bénéfice du doute aux accusés. Ce n’est pas de nuances que nous manquons aujourd’hui. Aujourd’hui, ce dont nous avons cruellement besoin, c’est d’écoute. Des victimes se sont tues durant des années. Pouvons-nous, seulement un instant, écouter ce qu’elles ont à dire?
Les opinions exprimées dans cette tribune ne sont pas nécessairement celles de Métro.