L’aînée des femmes qui prenait part à la Marche du pain et des roses était âgée de 79 ans. Comme la plupart des marcheuses – il y a eu quelques abandons –, Christiane Sibillote s’est rendue à pied à Québec. Elle faisait partie du contingent qui partait de Longueuil. Vingt ans plus tard, les souvenirs de la religieuse sont toujours aussi vifs.
Comment vous êtes-vous entraînée pour la Marche du pain et des roses?
J’ai marché régulièrement pendant plusieurs jours. Le YMCA nous avait offert des séances d’entraînement alors j’en ai profité. À chaque jour, j’ai marché toujours un peu plus loin. La dernière marche que j’ai faite, je me suis rendue du canal Lachine jusqu’au Lac Saint-Louis. J’ai fait 20 km aller-retour. Tout le monde me disait « tu es folle » parce que j’avais 79 ans à ce moment-là. Je me suis dit que je n’allais pas faire de folie. Je vais essayer et je vais voir. J’ai vu que j’étais capable de faire 20km alors je me suis dit que je pouvais me lancer.
Qu’est-ce qui vous a motivée à faire la Marche du Pain et des Roses?
Je suis née en France. Quand nous – les Sœurs auxiliatrices – sommes arrivées ici, nous étions surtout motivées par la pauvreté. Nous sommes allées à Granby. Notre première activité a été de soigner les malades à domicile. Et la paroisse de l’Immaculée-Conception, à Montréal, a aussi fait appel à nous pour offrir un service social paroissial. Je suis pharmacienne de profession. Le quartier Pointe-Saint-Charles, qui était défavorisé, a voulu mettre sur pied une pharmacie populaire. J’y ai participé. J’étais très proche des gens. C’était très important de prendre conscience de tous les besoins de ce quartier. Quand la marche a été mise sur pied, je travaillais encore à Pointe-Saint-Charles. Et la pharmacie qui a été fondée sur un plan de solidarité m’a payée comme si j’avais travaillé pendant la marche.
Est-ce que ça été difficile pour vous de marcher 20km par jour?
C’était pas si pire. (Sourire)
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Puisque vous étiez l’aînée des marcheuses, avez-vous eu droit à un traitement de faveur?
Non. Pas particulièrement. On avait de bons échanges avec les marcheuses. C’était fort sympathique. Je suis allée dormir dans des familles [certains soirs plutôt que dans les dortoirs]. J’ai eu de bons contacts avec les familles. Il y en a avec qui je suis encore en communication.
Qu’est-ce que vous faisiez quand vous marchiez?
On chantait. On échangeait. On saluait les gens qui étaient le long du chemin et qui nous regardaient. Parfois, il y avait des gens qui se joignaient avec nous pour quelques kilomètres.
Avez-vous eu de la difficulté à garder le moral?
Non. C’était plus l’enthousiasme. On se sentait tellement soutenu quand les gens nous applaudissaient.
Il n’a jamais été question d’abandonner?
Non. Non. J’avais dit que je ne ferai pas de folie et que si j’étais fatiguée, j’arrêterais. En même temps, je n’ai pas été tentée.
«Ce n’était pas très courant, les Sœurs féministes.» – Christiane Sibillote, sœur auxiliatrice et participante à la Marche du pain et des roses
Quel souvenir gardez-vous de l’arrivée des marcheuses à Québec?
C’était extraordinaire. Il y avait un monde fou. Quand on est passé par Drummondville, Rose Drummond – c’est un établissement qui cultive des roses – nous a donné des roses. Quand on est arrivé à Québec, on avait chacune une rose dans les mains. Le premier ministre, Jacques Parizeau, nous a accueillies et il nous a dit qu’on l’avait dérangé. (Sourire)
Que pensez-vous des gains enregistrés grâce à la Marche du pain et des roses?
Du point de vue du féminisme, ça été extraordinaire parce que la question des femmes n’était pas très présente. On est gouverné par des hommes. Au retour, j’étais demandée à bien des endroits pour parler de l’expérience. [La marche] m’a beaucoup enthousiasmée.