On sait qu’il existe, mais on en imagine difficilement l’ampleur. On sait aussi qu’il ne s’agit pas d’un mouvement visant à se pencher sur la condition masculine en vue d’une plus grande égalité entre les sexes, mais d’un contremouvement strictement intéressé à préserver les privilèges masculins. Surtout, avec Le mouvement masculiniste au Québec – L’antiféminisme démasqué, on comprend qu’il a toujours existé et qu’il nous guette à tout moment.
Il nous guette d’autant plus que nous n’en sommes pas nécessairement conscients. Les médias accordent une certaine crédibilité à un discours reposant sur une soi-disant nature masculine qui non seulement fait du tort aux femmes – en légitimant la violence, notamment – mais plus encore semble nuire aux hommes. Le chapitre de Francis Dupuis-Déry concernant le suicide masculin est à lire par quiconque souhaite s’aventurer dans l’épineux portrait statistique souvent utilisé pour montrer que les hommes souffrent eux aussi. On y découvre que plutôt que d’aider en jetant le blâme sur les féministes, le discours masculiniste met tout en œuvre pour que les hommes se suicident davantage, en faisant la promotion d’une image stéréotypée de l’homme.
L’ouvrage collectif dirigé par Mélissa Blais et Francis Dupuis-Déri était déjà paru en 2008, et jouit d’une réédition à laquelle s’ajoutent un chapitre sur l’histoire politique du terme «masculinisme», ainsi qu’un nécessaire chapitre de Sarah Labarre sur son incarnation dans les réseaux sociaux. Cette mise à jour est essentielle, car elle met en lumière comment l’antiféminisme s’immisce dans un espace à conquérir, le web, un espace que refusent de partager les masculinistes. L’auteure revient sur les gamer gate, trouble.voir et Festival d’internet à Alma et sur leurs implications sur la capacité des femmes d’investir ces nouveaux espaces du web. Elle explore les dangers de la «manosphère» – la version internet du boys club – en évoquant l’attentat de La Isla Vista lors duquel un jeune homme a tué six personnes pour être reconnu comme un «vrai mâle alpha».
D’autres chapitres souffrent davantage de n’avoir pas été mis à jour. On peut certes déceler des traces d’hétéro-normativité ou d’homophobie dans Père manquant, fils manqué, mais l’ouvrage de Guy Corneau commence à dater, et beaucoup d’eau a coulé sur les ponts depuis sa parution en 1989. De même, le chapitre de Mathieu Jobin sur la cyberviolence est fort intéressant, mais la plupart des sites auxquels il s’attaque – L’Après-rupture, Content d’être un gars, ou Homme d’aujourd’hui – ne semblent plus être régulièrement mis à jour, quand ils ne sont pas tout simplement abandonnés.
Aussi, le désavantage d’un essai collectif est d’y retrouver quelques redondances. On trouvera également des tirs groupés contre deux ou trois masculinistes principaux – Yvon Dallaire, Serge Ferrand, André Gélinas, pour ne pas les nommer – et quasi caricaturaux, aux dépends de masculinises plus «sortables» et dont le discours peut être plus insidieux.
L’essai collectif, paru aux Éditions du Remue-Ménage, demeure un ouvrage de référence utile pour analyser l’impact du masculinisme sur les avancées du féminisme, mais aussi sur les politiques publiques, le système de justice, et bien sûr sur toutes les questions qui touchent de près ou de loin à l’égalité entre les hommes et les femmes, de la violence conjugale à l’équité salariale. Un essai à lire et à garder pas loin pour références ultérieures.