Le procès de Mike Duffy a viré au psychodrame. Qui a dit quoi, quand, à qui… On nous assène depuis des jours les moindres détails de cette affaire. Personnellement, entendre égrainer les moindres détails de ce scandale me laisse parfaitement de glace. Justice sera rendue contre le sénateur s’il a commis des crimes. Quant au premier ministre, on ne saura jamais s’il a participé ou non au camouflage des malversations. Mais ça ne serait pas la première fois qu’il se tire d’affaire à la suite d’agissements douteux. À l’approche des élections, les bilans qui seront faits du régime Harper nous le rappelleront.
Par contre, les scandales du Sénat ont eu pour effet de remettre la réforme de la chambre haute à l’ordre du jour. Je ne crois pas qu’il reste sur Terre un seul partisan de son maintien tel quel. Quant à savoir quoi en faire, les avis sont divisés. Mais son abolition n’est pas, à mon avis, une solution.
Il faudrait peut-être commencer par se demander à quoi ça sert, le Sénat. À la création du parlement canadien, le Sénat avait pour fonction de prévenir les dérives populistes de la Chambre des communes. Les députés de la chambre, élus, incarnaient les «passions» du peuple, dont l’élite se méfiait. Les sénateurs, nommés par le premier ministre, représentant l’élite économique et sociale, devaient équilibrer le tout.
Aujourd’hui, il nous paraît absurde de nommer les détenteurs de telles fonctions, plutôt que de les élire. Mais c’est justement parce qu’ils sont nommés que les sénateurs peuvent, en théorie, jouer le rôle de pondérateurs. Ils sont à l’abri du clientélisme électoral qui est devenu le pain et le beurre de nos députés. Ils peuvent renvoyer la Chambre des communes faire ses devoirs lorsqu’un projet de loi ne passe pas le test de la rigueur. Ils mènent des enquêtes de fond et se prononcent sur des enjeux de société sans favoritisme pour telle ou telle catégorie d’électeurs.
Il est même arrivé, rarement, que le Sénat bloque un projet de loi parce qu’il le jugeait anti-démocratique. Dans les années 1980, Brian Mulroney a tenté de faire adopter un projet de loi imposant le libre-échange avec les États-Unis. Mais il s’était prononcé contre l’idée lors de la course au leadership du PPC en 1983, et n’en avait dit mot lors de la campagne électorale qui l’avait porté au pouvoir. Lorsqu’il a tenté de l’imposer, les sénateurs ont répliqué qu’il n’avait pas obtenu le mandat du peuple de le faire. À l’élection suivante, en 1988, Mulroney a remporté une campagne menée essentiellement au fonction de l’enjeu du libre-échange, et la loi a été adoptée sans résistance de la part du Sénat.
Ce n’est qu’un exemple du rôle que peut jouer le Sénat, pour autant qu’il fonctionne correctement. Le problème, c’est qu’il est de plus en plus utilisé comme un instrument partisan, conséquence d’un système de nomination sans règles pour l’encadrer et dont les gouvernements successifs ont abusé.
Mais plutôt que de nous débarrasser complètement de cette institution, voyons comment elle peut être réformée, ou par quoi elle pourrait être remplacée, pour mieux servir la démocratie et l’intérêt général. La suite la semaine prochaine.