Au moment où j’écris cette chronique, je ne connais pas encore le résultat du scrutin fédéral. Pas grave, quand vous la lirez, les analystes s’affaireront déjà à éplucher un à un les oignons de cette navrante campagne. Des plans pour brailler comme des champlures encore quelques jours.
N’allez pas croire que le verdict électoral ne m’importe pas, bien au contraire. Sauf qu’il y a une chose qui m’est rentrée dedans encore bien plus ces derniers temps… Jadis, ma grand-mère disait: «Fais pas de grimaces; une bonne fois, tu vas rester pris comme ça.» Aujourd’hui, j’ai juste peur que ça soit vrai. J’ai peur que l’on soit désormais pris avec ce visage laid que l’on a découvert récemment. Ce côté sombre de nous. Une face intolérante, qui crie des insultes, qui expédie des mises en demeure à quiconque ne pense pas pareil.
Ces dernières semaines, on a réclamé la déportation sans appel d’un humoriste (par ailleurs né ici…) qui avait osé critiquer les voteurs cagoulés de sacs de patates. Me suis moi-même fait traiter de traître à la nation pour la même affaire. On a aussi exigé des excuses publiques à un fou du roi qui avait fait une joke parfaitement inoffensive à Gilles Duceppe. On a promis des claques sur la yeule et des bottes au cul à des observateurs qui avaient eu le malheur de remettre en question les stratégies de l’un ou l’autre.
Coudon, c’est pas nous autres, ça? En est-on vraiment rendus là? Mais d’où part cette idée de vouloir arracher le dernier morceau de linge sur le dos de celui qui ne pense pas pareil?
On aura beau se targuer de vivre dans un monde où la liberté d’expression est un droit indiscutable, récemment, j’ai parfois eu l’impression de vivre ailleurs, dans un «je-ne-sais-trop-où». Là où la moindre dissidence, la moindre nuance, le moindre doute seraient vus et reçus comme des agressions en bonne et due forme. À l’ère des clips de 10-secondes-ou-crève, quand il faut fesser toujours tout de suite pour faire de l’effet, la violence du verbe prend automatiquement le dessus.
Il y a de ces moments dans l’histoire d’un peuple où l’on peut exactement situer un passage de l’avant à l’après. J’ai peur que ce soit ce que nous venons de vivre.
Ce matin, peu importe le score, on a tous perdu quelque chose. Genre le savoir-vivre. Le savoir-vivre ensemble.
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Vu: Récidives, le nouveau spectacle de Plume Latraverse. Ce cher Plume, toujours là à défier les conventions. Avec ses textes finement ciselés au couteau de poche, son univers où des patineuses vêtues de minou bleu croisent des intrus en mal d’amour qui débarquent toujours au mauvais moment. Touchant comme jamais, avec cette étrange pudeur qui nous fait passer des larmes à la franche rigolade en moins d’un instant. En supplémentaires du 10 au 12 mars prochain à la Cinquième salle de la Place des Arts, un endroit parfait pour ce type de rencontre intime.
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Il y a 10 ans, presque jour pour jour, le Métro publiait ma première chronique. Étant pigiste, je connais parfaitement la valeur de cette longue collaboration. Merci à tous. Je ne vous cacherai pas que suis très chanceux – et très fier – de disposer de ce privilège depuis si longtemps.