Plusieurs traces du nom du cinéaste Claude Jutra seront effacées de l’espace public, a-t-on décidé rapidement mercredi.
La présentation de la pièce manquante des allégations de pédophilie visant le cinéaste, soit le témoignage à visage couvert d’une présumée victime agressée à partir de l’âge de 6 ans rapporté le quotidien par La Presse, a précipité les événements.
Québec Cinéma a annoncé lors d’un point de presse qu’il retirera le nom du cinéaste de la Soirée des Jutra, gala annuel qui récompense les artisans du cinéma québécois.
«J’ai été profondément bouleversé en lisant le témoignage de la présumée victime, a confié Patrick Roy, président du conseil d’administration de Québec Cinéma. C’est ce qui nous a poussés à prendre la décision plus rapidement et de changer le nom du gala.»
La publication cette semaine de la biographie de Claude Jutra écrite par Yves Lever et son évocation de relations avec des jeunes garçons avait déjà incité des gens du milieu cinématographique à réclamer que le nom de Claude Jutra ne soit plus associé au gala qui célèbre annuellement le cinéma québécois.
Avec le témoignage de mercredi, «la situation était intenable, a expliqué Ségolène Roederer, directrice générale de Québec Cinéma. Demander à notre milieu d’être pris dans quelque chose qui ne nous appartient pas, c’était impossible.» Elle précise que le but n’est pas d’attaquer l’oeuvre du cinéaste, mais de changer le nom d’un trophée «par respect pour nos artistes et artisans».
La décision a été entérinée à l’unanimité par le conseil d’administration, mercredi matin. Le gala télévisé, qui aura lieu le 20 mars prochain, portera donc un nom générique temporaire qui n’a pas encore été choisi. Les artistes ne recevront pas de trophée portant le nom du défunt cinéaste. Un trophée au design temporaire sera produit pour cette soirée. Selon Mme Roederer, il y a de fortes chances pour que le futur nom officiel de cette remise de trophée ne soit plus attribué en l’honneur d’un artisan, mais soit plutôt un nom générique.
La ministre de la Culture et des Communications du Québec, Hélène David, avait d’ailleurs fait la demande à Québec Cinéma tôt mercredi matin pour retirer le nom «Jutra» de son gala. Québec Cinéma assure que sa décision était alors déjà prise et n’a pas été faite en réponse à l’appel de la ministre.
La ministre David a aussi demandé à la Commission de toponymie du Québec de lui fournir la liste de tous les lieux publics portant le nom de Claude Jutra afin que les municipalités soient en mesure de la consulter et décider si elles maintiendront ou non les désignations au nom du cinéaste.
Le maire de Montréal, Denis Coderre a aussitôt répondu à l’appel en annonçant que le nom de Claude Jutra sera retiré de la toponymie de Montréal.
Il y a actuellement un croissant de rue dans l’arrondissement de Rivière-des-Prairies–Pointe-aux-Tremble qui porte le nom de Claude Jutra. Un parc, au coin des rues Prince-Arthur Ouest et Clark, dans l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal, porte également le nom du défunt cinéaste.
Le maire Coderre a déclaré qu’il «ne fallait pas défendre l’indéfendable.» Il a également assuré que son administration travaillera à nommer ce croissant de rue et ce parc sous un autre nom «représentant Montréal».
«Je veux saluer la ministre David qui a demandé de retirer le nom Jutra autant du gala des Jutra que de la toponymie de Montréal. On donne suite à sa demande», a mentionné le maire.
La Cinémathèque québécoise a également confirmé qu’elle changera le nom de sa salle principale qui porte actuellement le nom de Salle Claude-Jutra.
«La renommée d’un agresseur faisant porter sur ses victimes un poids dont il est difficile de se dégager, ceux qui contribuent à cette renommée portent collectivement une responsabilité dont ils doivent s’acquitter, a déclaré Marcel Jean, directeur général de la Cinémathèque québécoise, par communiqué. Les membres du conseil d’administration se sont consultés ce matin et ont pris la décision de retirer la dénomination de notre principale salle de projection.»
Jusqu’à nouvel ordre, la Cinémathèque québécoise désignera cet espace sous le nom de «Salle de projection principale».
Les maires de Québec et de Lévis, Régis Labeaume et Gilles Lehouiller, ont également annoncé mercredi que les rues portant le nom Claude-Jutra dans leur municipalité — il y en a une dans chaque ville — seraient renommées.
Claude Jutra, qui s’est enlevé la vie en 1986, a d’abord fait l’objet d’allégations de crimes de pédophilie dans une biographie lancée mardi, mais ces allégations ne reposaient que sur la foi de témoins anonymes.