«T’as quel âge?» «20 ans.» «Ça fait combien de temps que t’es acteur?» «20 ans.» I Am Heath Ledger célèbre la vie de l’artiste ayant ravi le cœur de Hollywood avant que la mort le ravisse tragiquement à son tour.
Monster’s Ball, de Marc Foster. Brokeback Mountain, d’Ang Lee. I’m Not There, de Todd Haynes. The Dark Knight, de Christopher Nolan. En une décennie, Heath Ledger a joué dans plusieurs œuvres majeures du cinéma américain du début du siècle. Un univers dans lequel il est entré en grand en 1999, premier rôle, tiens, avec la comédie romantique 10 Things I Hate About You.
Ceux qui ont vu ce charmant teen movie se souviennent assurément encore de la fameuse scène où il chante Can’t Take My Eyes Off You dans les estrades du stade de l’école pour charmer Julia Stiles. Bien sûr qu’ils s’en souviennent.
Dans I Am Heath Ledger, on aperçoit d’ailleurs des images d’archives du tournage de cette séquence-culte. Tout comme on aperçoit une multitude de photos et de vidéos maison tournées par le regretté acteur. «C’est rare de voir quelqu’un qui, déjà à l’époque, documentait sa vie ainsi! Mais je crois que Heath savait que ce qu’il traversait était spécial, et c’est pourquoi il a tout consciencieusement enregistré de la sorte», remarque Adrian Buitenhuis.
Adrian, c’est le coréalisateur du film. Un crédit qu’il partage avec son collègue Derrik Murray. Le cinéaste, qui vit à Vancouver et qui a étudié en arts à Concordia et à McGill, n’a pas connu personnellement l’homme au cœur de son documentaire. Mais par les multiples entrevues qu’il a menées avec ses parents, avec ses sœurs, avec ses amis d’enfance, avec ses anciennes amoureuses, «il a vécu l’émotion par procuration; il a senti l’impact qu’il avait encore dans leurs vies».
Parmi ceux qui témoignent ici, on trouve Ang Lee, qui a dirigé l’interprète australien dans Brokeback Mountain, long métrage encensé ayant chamboulé les perceptions. Et Naomi Watts, avec qui il a partagé momentanément sa vie – et l’écran, dans le drame historique Ned Kelly.
«Heath aurait-il aimé ce film? Hm, probablement pas! Il aurait sûrement grimacé à l’idée que quelqu’un consacre autant de temps à sa personne! Mais, en même temps, s’il avait senti que ça faisait du bien à ses proches de le célébrer ainsi, il en aurait été ravi.» – Adrian Buitenhuis, réalisateur
L’ensemble de ce portrait est triste, souvent crève-cœur. Néanmoins, y pointent des lueurs de sourires, de lumière. Car Adrian et Derrik voulaient à tout prix éviter le glauque, et se concentrer plutôt «sur toutes les choses positives que Heath Ledger a amenées». Au cinéma, à ses proches, à ses amis. Sa mort par overdose accidentelle le 22 janvier 2008, à l’âge de 28 ans, est ainsi effleurée. Mais on n’entre pas dans les détails et la décortication sensationnaliste du qui quoi comment pourquoi. «Ce jour-là, j’ai essayé de joindre Heath, en vain, souffle son agent, Steve Alexander. Je savais que la seule raison pour laquelle il n’aurait pas répondu à mes textos, c’est s’il était…» Il ne prononce même pas le mot.
Certains critiques ont justement reproché au film de ne pas fouiller plus profondément sa dépendance aux drogues pharmaceutiques. «Vous savez, il y a eu, et il y a encore, tant d’attention prêtée à sa mort que nous voulions tourner le regard vers sa carrière, vers son esprit. Il y avait tant de choses à célébrer.»
À savoir : son amour de la musique et des vidéoclips. Les fêtes incessantes qu’il organisait, sa porte toujours ouverte. Son enfance à Perth, son sens de l’aventure. Sa passion, sa créativité.
De Ben Harper à Ben Mendelsohn, ils sont nombreux à se confier sur la générosité, le grand flair artistique de leur ami disparu. Et il le font devant une grande toile, qui laisse entrevoir un décor derrière. «Une référence à Annie Leibowitz, et aux photos que Heath prenait lui-même», note Adrian. Et puis, aussi, une évocation du septième art. «Nous voulions suggérer l’idée d’un studio. Briser le quatrième mur pour nous rendre derrière les coulisses.»
Derrière ces coulisses, les membres de sa famille se souviennent du choc de la disparition. Mais surtout, de la façon dont ils l’ont absorbé. «Le monde entier a appris la mort de mon frère avant nous. Ça va me hanter pour le reste de ma vie», dit sa sœur. «C’était notre garçon. De devoir partager ce moment avec la planète entière a été très ardu», confie le père.
Un message peut-être aux médias de traiter ces sujets de façon plus délicate? «Ils l’ont si bien exprimé. Je ne saurais mieux le faire. Oui, Heath était une figure publique, oui il était aimé par des tas de gens, oui ça fait partie de la célébrité, mais vient un moment où il faut respecter la vie privée d’autrui.»
D’après ce que montre le film, Ledger lui-même avait du mal à s’habituer aux flashs et aux paillettes. «Il voulait être célèbre. Mais une fois qu’il l’a été, il ne voulait plus l’être», remarque son copain d’enfance, Trevor.
«D’une certaine façon, je ne crois pas qu’il voulait réellement être célèbre, remarque Adrian Buitenhuis. Je crois qu’il voulait plutôt avoir la chance de travailler avec plein de réalisateurs extraordinaires. Il adorait le métier d’acteur, mais il haïssait faire la promotion des films, les vendre. Il ne voulait pas être un poster boy.»
Notons que Michelle Williams, qui a été l’épouse de Heath Ledger, et la mère de leur petite Matilda, ne témoigne pas à l’écran. «Nous étions en contact avec elle, elle nous a donné sa bénédiction pour faire le film, mais elle n’a pas voulu être interviewée. Et je la comprends. Moi-même, j’aurais du mal à parler de quelqu’un que j’ai tant aimé devant une caméra, confie le coréalisateur. Et puis, pour raconter une histoire, il ne faut pas forcément montrer tous les morceaux.»