Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort? «C’est un peu, beaucoup de la bullshit», croit Jason Bajada. Le musicien montréalais préfère nettement la version réinterprétée de cette maxime. À savoir: «What doesn’t kill you makes you songwrite.» Ce qui ne nous tue pas, nous pousse à écrire des chansons. Voici les siennes.
Quelque chose comme quoi? 91,67 % des chansons de l’univers n’existeraient pas sans un carambolage préalable du cœur? Si on s’en tient à des exemples récents, Adele a moult fois remercié, pour l’inspiration, le garçon qui lui a fracassé le sien. Le producteur norvégien Lido a raconté tout ce qui avait dérapé avec la femme qu’il aimait sur l’album Everything. Le réalisateur américain Emile Haynie s’est enfermé au Château Marmont pour documenter la chute vertigineuse causée par sa peine infinie sur le si bien nommé We Fall.
Jason Bajada, lui, a suivi la tendance. Mais il a accompagné son disque de trahison, de tromperie et de tristesse, The Backstabberz, d’un second. Blondie. Dix pièces sur lesquelles il relate sa rencontre bouleversante avec la fille blonde du titre. Puis l’histoire qui s’en suit. Une histoire qui ne finit pas particulièrement bien non plus, si on se fie au titre qui coiffe ces deux opus. Loveshit II.
S’il y a un II, c’est que Jason a déjà chanté les cataclysmes de l’amour sur Loveshit, le I, sorti en 2009. Comme il a déjà parlé de partir ailleurs, au loin, sur Volcano. Un album francophone paru l’an dernier, inspiré lui aussi d’expériences difficiles, doublées d’un séjour en Islande.
Ici aussi, le guitariste voyage. Ou du moins, il rêve de le faire. Sur Let’s Go to the Airport, par exemple, il propose à sa flamme de le suivre, allez, à New York, à Singapour. Où tu veux.
C’est au fantastique Festival de musique émergente en Abitibi-Témiscamingue, dit FME, dans l’antre du non moins fantastique Cabaret de la dernière chance que Jason Bajada a officiellement lancé son dernier-né, réalisé par Philippe Brault, qui l’accompagnait live à la basse. Là qu’il a interprété des pièces aux textes et aux noms évocateurs. Comme celle, adressée à ceux qui l’ont trahi et que l’on traduirait par Dans quel monde vous vivez, espèces de sauvages, pour penser que je serais cool avec ça? Et qui se termine par les mots «All I wanna do is die», répétés neuf fois de suite.
Mais si le propos est sombre, il y a plein de moments où on sourit. Comme on l’a fait durant sa prestation parsemée de blagues pince-sans-rire. Ainsi, après avoir remarqué que sa guitare n’était pas branchée, avant de jouer la pièce finale (de son disque) Final Breath, le musicien s’est excusé, à sa façon. «Désolé. Ça n’arriverait pas dans un show de U2, ça.»
«Ça fait partie de moi, remarque-t-il au sujet de cet humour qui teinte même ses écrits les plus tristes. C’est important de faire preuve d’autodérision quand les choses sont dramatiques. Je suis un grand fan de stand-up. J’ai grandi en écoutant les late night shows. Les Colbert, Letterman…»
Sur la pochette (magnifiquement illustrée par Valéry Lemay), vous remerciez d’ailleurs Bill Murray. Une autre inspiration comique?
En fait, c’est mon chat. (Rires) Mon nouveau chaton. Il m’accorde beaucoup de zoothérapie.
La pièce Jojo s’ouvre sur les mots: «I just don’t understand.» Je ne comprends tout simplement pas. Faire ce disque, composer, écrire, ça vous a permis de le faire? De comprendre?
… Pas tout à fait… Non, pas tout à fait. Les choses sont encore mal définies. Imprécises. Les plaies sont encore ouvertes. Il faut que le temps fasse son œuvre. Mais parfois, le temps est long.
Le mot mixtapes revient dans deux pièces, soit Jojo et In What World Do You Savages Live Where You Thought I’d Be Cool? Un accessoire essentiel de votre vie?
C’est vrai! Dans le premier cas, c’est un pacte que j’avais avec Jojo, justement. «On s’en va à San Francisco. Je m’occupe de la voiture. Tu t’occupes des mixtapes.» Dans l’autre, c’est moi qui faisais des mixtapes pour quelqu’un…
Autant vous révélez des choses sur vous, autant vous aimez en révéler sur les autres, n’est-ce pas? Dans la pochette, vous dites que votre batteur, Samuel Joly écoute sans gêne du Goo Goo Dolls et du John Mayer. Un plaisir coupable?
Oui! C’est le fun parce que Sam joue avec – je dis ça amicalement – des snobs de la musique. Qui n’aimeraient jamais les Goo Goo Dolls! Mais un jour, il a pris ma guitare, et il a commencé à gratter des trucs des années 1990. On a bien rigolé. Je ne le cache pas, ado, j’ai déjà joué des chansons de groupes considérés comme «pas cool» dans des restaurants. En fait, même avant de connaître Bob Dylan et Van Morrison, quand j’avais 14, 15 ans, c’est Adam Duritz, des Counting Crows, qui a «fait mon éducation musicale».
Vous dites que vous jouiez dans des restaurants. Vous chantiez?
Plus jeune, oui, je jouais dans des restos, des pubs irlandais. Ça m’a appris à me produire sur une scène où les gens s’en câlissent, sans moniteur, à chanter sans avoir de retour, sans m’entendre. Ça m’a appris à être dans ma bulle, à continuer. Peu importe ce qui arrive.
Sur Believe in Cake, vous chantez «ne pas croire aux diamants, mais croire au gâteau». Et l’idée du mariage revient quand même sur l’album. Attention, question quétaine: vous êtes un romantique dans l’âme?
Exactement. Je crois à l’amour. Et quand on s’investit, on accorde de l’importance à des choses qui sont complètement insignifiantes. Par exemple, cette bague que notre grand-mère nous a donnée. C’est un bout de métal finalement! Mais je crois à l’importance de construire quelque chose dans ce chaos qu’est la vie.
Parlant d’objets marquants, au FME, vous avez notamment utilisé la guitare de votre père, sur laquelle vous interprétiez des chansons de Weezer au secondaire. Un instrument qui vous accompagne habituellement?
Pas tellement… Mais j’ai décidé de la ressortir pour jouer Sandman et Help Me Feel Nothing at All, parce qu’elle sonne super bien en show. C’est un autre son que ma guitare habituelle. C’est drôle de l’avoir entre les mains parce qu’elle m’a accompagné quand j’étais jeune et que j’apprenais mes accords sur Nirvana Unplugged.
Était-ce votre accessoire clé pour attirer les filles au secondaire?
Pas tant. Non! (Rires) J’étais un peu entre les deux. C’est pour ça que je faisais de la musique. Je n’étais pas dans les cool, pas dans les nerds non plus. Je n’étais pas dans une boîte, dans une case. Ça me causait beaucoup d’anxiété. Je crois que c’est pour ça que je ne garde aucun souvenir de cette époque, à part ça.
À part la guitare, Weezer et Nirvana?
Oui. J’étais trop concentré sur la façon dont les gens me percevaient. Je n’étais vraiment pas très bien dans ma peau. Mais pas du tout.
Parlant de guitare, durant votre spectacle à Rouyn-Noranda, c’est Guillaume Doiron, que vous avez nommé «guitar hero», qui vous accompagnait. Mais sur l’album, c’est exclusivement vous qui en jouez, de la guit. Comment vous vous sentez dans cette formule?
Je me sens bien! Je trouve ça le fun de voir Guillaume reprendre des trucs que j’ai créés en studio. Mais ça m’a fait du bien de renouer avec ma méthode initiale, et de faire toutes les guitares sur le disque, comme je l’avais fait pour le premier Loveshit. Et pour tous mes albums en anglais, en fait. C’est pour ceux en français que je me suis entouré de superstars comme Olivier Langevin et Joe Grass. Là, j’avais envie que ça sonne comme moi. Pour le meilleur et pour le pire.
Infos
Loveshit II (Blondie and the Backstabberz) est disponible sous étiquette Audiogram.
Lancement jeudi à 18h au Théatre Fairmount