Le seul fait d’avoir 14 ans est une étape souvent difficile. Affirmer au même moment une orientation sexuelle différente relève toujours de l’exploit, voire du drame. Mais les choses ont tout de même changé depuis une quinzaine d’années.
«Ce n’est plus aussi cool d’être homophobe», résume Marie Houzeau, directrice générale du Groupe de recherche et d’intervention sociale de Montréal (GRIS), un organisme qui effectue de la sensibilisation en milieu scolaire depuis 18 ans.
«Tout évolue, c’est difficile de faire des comparaisons, mais ce qu’on sent, c’est un changement dans les rapports de force. Il y a une évolution générale des mentalités, y compris à l’école.»
Police interne
Les bénévoles du GRIS sont bien placés pour en juger. En témoignant de leur propre cheminement en tant qu’homosexuels devant des adolescents, ils ne récoltent plus aujourd’hui les mêmes réactions qu’autrefois. «Quand j’ai commencé en classe en 2003, se rappelle Marie Houzeau, quand un jeune exprimait un commentaire homophobe, ça faisait rire. Maintenant, devant un tel commentaire, on assiste à une espèce de police interne.»
«Oui, les choses ont évolué, depuis une quinzaine d’années, estime la directrice du GRIS. Mais il reste un noyau dur. On entend encore des choses du genre: « Moi, les homosexuels ne me dérangent pas, du moment qu’ils ne me touchent pas. » L’idée du gai prédateur est toujours présente.»
Affection en public
Comme en font foi les réponses aux questionnaires distribués aux élèves avant et après l’intervention d’un bénévole, ce sont les manifestations publiques d’affection entre deux personnes du même sexe qui génèrent le plus d’inconfort.
Cependant, ce sont les réponses obtenues sur ce point qui évoluent le plus après le témoignage, fait observer Marie Houzeau. La rencontre avec une personne en chair et en os venue parler de son expérience et répondre aux questions fait toute la différence, insiste la directrice. D’ailleurs, le fait de connaître une personne gaie, lesbienne ou bisexuelle a beaucoup d’influence sur la perception des jeunes, confirment les informations récoltées via ces questionnaires anonymes.
Stéréotypes
La rencontre avec un bénévole du GRIS peut donc aider à déboulonner les stéréotypes «qui peuvent transformer en enfer la vie d’un jeune qui ne rentre pas dans le moule, souligne Mme Houzeau. Le message que le jeune reçoit, c’est que ce qu’il découvre de lui-même n’est pas accepté.»
Et il ne s’agit pas que d’orientation sexuelle. «L’homophobie a des conséquences dramatiques et touche tous les jeunes qui ne correspondent pas aux stéréotypes de genre. Un garçon qui joue du violon peut par exemple susciter des comportements homophobes.»
Tout le milieu dans lequel baigne l’adolescent a une influence sur la façon dont il vit son orientation sexuelle. L’attitude des parents, notamment, est importante.
«Mais sur les parents, on n’a pas de prise, dit Marie Houzeau. On nous dit souvent que là où les jeunes entendent les propos les plus homophobes, c’est autour de la table, à la maison. D’où l’importance de l’intervention en milieu scolaire : le jeune passe la moitié de sa vie à l’école.»
Une question de bulle
Travailler en équipe avec une fille lesbienne? Faire une activité sportive avec un gars gai? Apprendre que sa sœur est bisexuelle? Plus ces réalités se rapprochent de sa «bulle» personnelle, plus un jeune se sent inconfortable.
C’est ce qui ressort des données colligées par le Groupe de recherche et d’intervention sociale de Montréal (GRIS), via les réponses aux questionnaires distribués en classe avant et après les interventions de ses bénévoles.
«Un des objectifs du questionnaire est d’identifier les facteurs sociaux qui influencent le niveau de confort des jeunes relativement à l’homosexualité», explique la directrice de l’organisme, Marie Houzeau. Les recherches du GRIS montrent par exemple que les filles sont plus à l’aise, et que le «confort» augmente avec l’âge.
Le fait de pratiquer une religion influence également l’attitude des répondants. «Quand on parle de religion, il faut être prudent. On ne parle pas d’une religion ou d’une autre, mais plutôt du degré de religiosité.»
Ce qui influence le plus la perception: le fait de connaître une personne gaie, lesbienne ou bisexuelle. C’est le seul facteur sur lequel le GRIS a un contrôle, fait observer Mme Houzeau. Les témoignages des bénévoles prennent alors tout leur sens, en permettant aux jeunes de mettre un visage sur l’homosexualité.
Des «alliances» LGBT pourraient émerger en milieu scolaire
L’hiver dernier, le collège privé Jean-de-Bréboeuf a vu naître la Pangée, une association d’étudiants et d’étudiantes gais, lesbiennes, bisexuels ou transgenres (LGBT). Moins courant chez les francophones, ce type d’initiative pourrait se multiplier dans le futur.
«On organise des rencontres, on a une page Facebook. C’est très informel, on discute et tout le monde propose des activités», explique Louis Angot, un étudiant du Collège qui a cofondé l’association avec une amie.
À ses premiers balbutiements au printemps dernier, l’association avait déjà suscité l’attention dans l’établissement. «On a fait une murale où les gens venaient se faire prendre en photo, en guise de marque d’affection», raconte Louis.
À l’image de la Pangé, le supercontinent qui intégrait encore, y a 200 millions d’années, les cinq continents actuels, l’association se veut inclusive. «Des gens qui ne sont pas LGBT viennent se joindre à nous. On essaie de représenter toutes les minorités. On veut sensibiliser, combattre les préjugés, montrer qu’il y a de la diversité dans la diversité. On dit: « On est là est on est différents. »»
À la Commission scolaire de Montréal, ce type de comité est inexistant dans les écoles secondaires, confirme le porte-parole Alain Perron. «C’est plus répandu chez les anglophones, qui ont leurs « alliances », mentionne Marie Houzeau, directrice du Groupe de recherche et d’intervention sociale (GRIS). Mais j’en entends parler plus qu’avant. Nos jeunes se sentent plus autorisés à avoir eux-mêmes des initiatives pour faire valoir leurs droits. Je ne serais pas surprise que ça se développe.»
Témoignages: Le milieu, facteur clé pour une sortie du placard heureuse
L’évolution des mentalités en général, c’est une chose. Mais quand il s’agit de sortir du placard à l’adolescence, c’est du cas par cas. C’est le milieu qui fait toute la différence, s’entendent pour dire Camille et Louis, deux jeunes qui ont vécu une expérience positive.
Le processus aurait pu être traumatisant pour Louis, qui fréquentait une école du quartier Saint-Michel, à 14 ans. «C’était un milieu difficile, mais j’ai eu de la chance, dit le jeune homme de 17 ans, qui étudie maintenant au Collège Jean-de-Bréboeuf. Je côtoyais les élèves des programmes musical et international, qui étaient peut-être plus ouverts. Ça n’a jamais été un cauchemar, ni à la maison, ni à l’école.»
«Depuis la 4e année, j’ai une attirance envers les filles, dit Camille. Je faisais rire de moi.» Malgré une période difficile, qui a amené Camille à s’automutiler, les choses ont finalement pris une tournure plus heureuse. «Ma mère est très ouverte et mon père est conservateur, mais il m’a vraiment étonnée, il l’a bien pris.»
Aujourd’hui, à 16 ans, Camille a une blonde depuis plus d’un an et demi. Une ombre au tableau: la mère de sa copine de 19 ans, qui «est fortement en désaccord».
Ce qui n’empêche pas la jeune fille d’être sereine. Un milieu ouvert facilite les choses, mais «il faut aussi que tu aies confiance en toi», souligne-t-elle. «Quand tu as confiance en toi, c’est plus facile. C’est une des clés», confirme Louis.
Le vécu de Louis et Camille n’est pas celui de la majorité, note Marie Houzeau, directrice du Groupe d’intervention et de recherche de Montréal (GRIS). «Beaucoup de jeunes ne font pas leur coming out à l’école. Intuitivement, je dirais que la majorité vivent cela de façon isolée.»