Passionné de ballet, passionné de photo, passionné de Montréal (et grand utilisateur des transports en commun), Steven Berruyer a souhaité mettre en commun, justement, tous ses intérêts. De ce mélange, l’ingénieur mécanique a tiré une série de photos où les stations de métro partagent la vedette avec des danseuses sur pointes. Plein de points d’originalité.
Sur le compte Instagram de Steven Berruyer (@stev_berru), on trouve des photos de ballet. Des dizaines de photos de ballet. Des danseurs prenant la pose devant l’oratoire Saint-Joseph, à la Place des Arts, au Stade olympique, en studio. Certaines des compositions sont plus énergiques, d’autres plus romantiques, d’autres plus atypiques, comme cette série où la danseuse montréalaise Andréanne Brosseau effectue un piqué avec, à la main, une bombe fumigène colorée assortie à son costume. Toutes sont superbes.
Ingénieur «pour un gros groupe aéronautique québécois», Steven est né à L’Argentière-la-Bessée, un village de quelque 2 300 habitants situé dans les Alpes. Un village «où la danse n’était pas vraiment accessible».
Après des études en sciences à Grenoble, le Français a pris la direction de Montréal en 2009 pour compléter sa formation à Polytechnique. Et, comme beaucoup, il a eu un coup de cœur. Et, comme beaucoup, il est resté.
Pour le journal étudiant de Poly, il a mis à profit son amour de la photographie, qu’il cultive depuis une quinzaine d’années. Il a ainsi couvert Osheaga, le Festival de jazz, des spectacles de l’Opéra de Montréal.
En 2011, celui qui n’a jamais dansé a eu quelque chose comme une révélation. C’était en voyant Les quatre saisons, du chorégraphe italien Mauro Bigonzetti. Un ballet contemporain dansé par les Grands Ballets canadiens. Le premier ballet que Steven voyait de sa vie.
D’emblée, la discipline l’a fasciné. Il a commencé à se créer des contacts dans le milieu. «Parfois, ça fonctionnait, parfois non. Mais qui ne tente rien n’a rien!» s’exclame-t-il.
Son talent pour la composition a charmé plusieurs danseurs, qui ont été de plus en plus nombreux à faire appel à lui pour des séances photo. Depuis, il a travaillé avec une cinquantaine d’entre eux. «Principalement de Montréal, mais aussi de Toronto, de Vancouver, d’Allemagne.»
Il a formé de belles amitiés et retrouvé chez ses nouveaux sujets d’inspiration «la même rigueur qu’en sciences». «Sous certains aspects, leur entraînement est encore plus demandant, d’un point de vue physique, certes, mais aussi mental.»
De son côté, son art a permis de compenser «son côté cartésien, scientifique, un peu geek». Et il lui a permis d’exploiter «le côté culturel et créatif qu’il n’y a pas forcément tout le temps en génie».
Sans oublier les successions de belles rencontres. Car si, dans les domaines de la musique et de la mode, par exemple, les photographes sont plus nombreux et la concurrence à l’avenant, Steven confie que dans le monde du ballet, ils sont un petit groupe d’irréductibles. Dont Sasha Onyshchenko, le photographe des Grands. «Tous les danseurs avec qui j’ai travaillé étaient contents que je me consacre à ce domaine! lance Steven. Mais pour moi, c’était presque une évidence. Les danseurs savent exactement comment se placer dans l’espace. Ils ont une grande compréhension de leur corps et une fibre artistique très développée.»
Cette fibre l’est aussi chez lui. Voyez : en cette année du 375e, il a décidé de concevoir une série rappelant sa ville d’adoption. Autoproclamé «fervent des transports en commun», il a choisi le métro pour décor.
À son arrivée au Québec, il y a huit ans, c’est d’ailleurs ce qui l’avait marqué en premier lieu : la taille des stations. «Je les trouvais tellement impressionnantes par rapport à d’autres villes. Comme la station Verdun : c’est vraiment très très grand à l’intérieur!»
Son désir de jumeler l’architecture des stations à la danse l’a mené à créer une série en compagnie de quatre finissantes de l’École supérieure de ballet du Québec, chacune attitrée à une ligne du métro, chacune portant un léotard de la couleur de ladite ligne. Celle qui les a confectionnés, c’est Sahra Maira, soliste aux Grands Ballets et couturière.
«Nous avons travaillé ensemble sur le design, qui découpait bien le dos des danseuses et trouvait un bel aspect sur le corps», explique Steven.
En quatre semaines, à raison d’un soir par semaine et de trois heures par soir, le jeune homme de 28 ans a parcouru les stations avec la ballerine représentant la ligne, prenant chaque fois près de 400 photos avec son Nikon D800. Et travaillant avec les éléments sur place. Comme l’éclairage classique du métro.
«Ce qui est délicat avec les photos de ballet, c’est qu’autant, moi, je suis très demandant sur le plan de la lumière et du cadrage, autant les danseuses, elles, le sont sur le plan de leur technique. C’est l’image qu’elles projettent d’elles-mêmes. La plupart sont en train de passer des auditions, se cherchent un emploi dans une compagnie.»
Le secret? L’accord entre le photographe et la ballerine. Qui implique de «vérifier que la main est bien placée, que le pied est bien pointé, que la jambe est en dedans. Que la force passe dans l’image».
Sans oublier que, dans ce cas-ci, le sol du métro pose des difficultés autrement plus grandes que celui d’une salle de spectacles. Et qu’avec les pointes, le défi est supplémentaire. D’ailleurs, à propos de pointes, esthétiquement, pour un photographe, c’est un «accessoire» magnifique, non? «La ligne que ça donne au niveau des jambes est incroyable!» approuve Steven avant d’avouer : «C’est drôle. Au début, je ne voyais pas forcément la technique. Je voyais davantage l’aspect visuel de l’ensemble. Mais à force de voir les danseurs retravailler, “ah non, mon pied est en dehors, ma jambe n’est pas assez levée”, j’ai commencé à percevoir les différences. J’ai emprunté des livres de ballet à la bibliothèque, je me suis mis à communiquer sur Instagram avec des danseurs pour discuter de technique.»
Et pour clore la discussion, une petite question. C’est people, Steven, pardon. Tu as shooté des célébrités? «Pour moi, ce sont les artistes des Grands Ballets canadiens. Vanesa Garcia-Ribala Montoya, Célestin Boutin. Deux boute-en-train. Très agréables, très gentils. Pour moi, les vraies stars, ce sont eux.»