Seul film canadien sélectionné au Festival de Cannes, Le sujet de Patrick Bouchard est une œuvre très personnelle qui vient du plus profond de lui.
Rencontré à la Cinémathèque québécoise, Patrick Bouchard enchaîne les entrevues. «C’est un peu intense en ce moment. Je n’ai pas l’habitude de ça.»
C’est que le réalisateur n’a jamais été au centre d’une telle exposition médiatique. Même s’il a déjà remporté trois prix Jutra pour ses précédents courts métrages (Bydlo, Dehors novembre, Les ramoneurs cérébraux), il a toujours été un travailleur de l’ombre.
C’est pourtant la lumière qui l’attend pour sa première visite à Cannes. Xavier Dolan et Denys Arcand brillent par leur absence, tandis que Denis Villeneuve est «seulement» juré. De quoi jeter les projecteurs sur sa nouvelle création animée, présentée à la Quinzaine des réalisateurs, qui a notamment révélé les Ken Loach, Michael Haneke et autres frères Dardenne. «On me dit que c’est une section super agréable, lance-t-il en riant. Je vais m’apporter des beaux vêtements, mais pas de costard. Je vais essayer d’être décontracté, de ne pas trop m’énerver avec ça.»
Il n’a qu’à être lui-même. C’est d’ailleurs ce qu’il fait, doublement, dans Le sujet, étant à la fois le héros et son alter ego qui prend la forme d’un moulage grandeur nature de son propre corps.
Lorsque le premier tente de percer à jour – littéralement – les secrets du second, une aventure introspective, épique à ses heures, s’ensuit. «Le film aborde ce qui est invisible en nous, ce qu’on a de la difficulté à mettre en mots, à montrer ou à exprimer, explique le cinéaste qui n’a jamais fait d’école d’animation. C’est un film sur l’être.»
Cette odyssée permet de faire ressortir les joies et les peines enfouies en soi, ce passé judéo-chrétien qui n’est jamais bien loin et les obsessions du metteur en scène, qui a déjà baigné dans cet univers sombre et baroque, notamment sur son acclamé Révérence. «Il a fallu que j’aille extraire ce film loin et profondément en moi pour créer les images, se rappelle-t-il. Parfois, il faut que ça fasse mal pour donner quelque chose de vrai.»
Cette douleur s’accompagne d’une certaine délivrance. Soulager le corps, c’est lui rendre sa liberté. La liberté est justement le moteur du Sujet. L’absence de scénario permettait à Patrick Bouchard de palper la matière, les textures, tout ce qui lui tombait sous la main. D’utiliser son sang ou sa salive pour ne faire qu’un avec son sujet.
Pas surprenant alors qu’il se soit senti obligé de composer lui-même la musique. C’est le don de soi, dans tous les sens du terme. Puiser au plus profond pour trouver l’âme et le cœur de la création n’est, du coup, plus une métaphore, mais bien une réalité.
Pour l’instant, la réalité du quarantenaire est le plus prestigieux festival de cinéma de la planète, avec ses cocktails, ses rencontres et ses films qui font fantasmer. «Je ne sais pas si je vais être capable d’aller en voir, confie-t-il. Je n’ai pas encore regardé la programmation. En ce moment, c’est un tel feu roulant que je n’ai pas eu le temps d’analyser quoi que ce soit. Il me reste quelques jours encore, alors il faudrait que je me mette sur le dossier Cannes.»
«Cannes, c’était inespéré, on ne l’attendait pas du tout. Je ne savais même pas que le film avait été soumis!» –Patrick Bouchard, réalisateur du fil Le sujet
Sortir de l’ombre
Le court métrage a toujours été dans l’ombre du long et la sélection du Sujet à Cannes – c’est l’unique film canadien retenu – lui permettra à coup sûr de faire rayonner ce format cinématographique. «Il y a une espèce d’éducation qui n’a jamais été faite, concède le réalisateur Patrick Bouchard. Que ça soit en salle ou sur d’autres plateformes, son accès est beaucoup plus limité. Tu vas voir le court métrage en festival ou dans des émissions spéciales pour boucher des trous à la télévision. Il faudrait pourtant qu’en salle, un court métrage soit systématiquement diffusé devant un long métrage. Ça serait si logique… J’entends souvent des gens me dire: “Lâche pas, tu vas réussir à faire un vrai film”. Mais ce sont des vrais films que je fais!»