L’ex-génie autoproclamé de la musique est de retour. Celui qui ose faire du body surfing dans la foule d’un concert symphonique, qui porte robe de chambre et pantoufles en guise d’uniforme de scène, mais qui est aussi le compositeur de mélodies douces et rêveuses – bref, le seul et unique Chilly Gonzales! – lance aujourd’hui le troisième, et dernier, album de sa série Solo Piano.
«Je suis content d’entendre l’accent de Montréal, l’accent de mon enfance!» lance d’emblée d’un ton enthousiaste Jason Beck de son vrai nom au bout du fil, avant même qu’on ait eu le temps de lui dire «Bonjour, comment allez-vous?»
Le Montréalais, qui vit depuis quelques années à Cologne, en Allemagne, reste profondément attaché à la ville qui l’a vu grandir. «J’ai habité à Paris pendant une décennie, et j’ai toujours dit aux Français: “Vous ne vous rendez pas compte qu’il y a une ville francophone beaucoup moins stressée, avec beaucoup plus de caractère?”»
C’est d’ailleurs lors d’une année sabbatique passée à Montréal en 2016 que l’inclassable musicien s’est consacré à la composition des 15 titres de Solo Piano III, dernier album d’une trilogie démarrée accidentellement entre deux projets.
Paru en 2004, Solo Piano I a connu un succès inattendu et ouvert les portes des plus belles salles du monde à Chilly Gonzales, qui était jusque-là connu pour ses projets de rap et d’électro. Ensuite, tout a déboulé rapidement.
«J’ai fait beaucoup de concerts, beaucoup de collaborations, il y avait beaucoup d’action dans ma vie», relate le détenteur du record mondial de la plus longue performance en solo, établi en 2009, en 27 heures et beaucoup de sueur.
En 2012, Chilly Gonzales récidivait avec Solo Piano II, suite logique de son prédécesseur. «C’était la première fois que je faisais une suite à quelque chose. Avant, j’étais connu pour toujours faire des albums très différents, pour être là où les gens ne m’attendaient pas.»
Puis, après avoir fait paraître un album de musique de chambre, un autre avec son «pote» Jarvis Cocker (Pulp) et un de reprises, en plus d’avoir collaboré avec des artistes aussi variés que Milk & Bone, Drake et Boys Noize, il compose Solo Piano III. «C’est à ce moment que je me suis dit qu’il était temps de clôturer la trilogie», laisse-t-il tomber à notre grand étonnement.
Pardon? Il n’y aura pas d’autre album Solo Piano? «Ça sonne bizarre, Solo Piano IV, non? (Rires) Je ne peux pas me l’imaginer, ça ne m’excite pas, explique-t-il. Je me suis réveillé un matin vers la fin du processus et je me suis dit: “Je pense que c’est fini.” Bon… Après, Jay-Z a annoncé sa retraite trois ou quatre fois et il revient toujours… Ne jamais dire jamais!»
«Une vie sans obsession, c’est la mort, Peu importe que ce soit la musique, l’écriture, le sport ou la politique. une vie sans passion me paraît inconcevable.» – Chilly Gonzales
Chilly Gonzales perçoit ses trois albums comme le cycle d’une vie. «Le côté accidentel et la naïveté du premier, c’est l’enfance. Le deuxième, ça représente l’adolescence, car tout allait vite. Et là, je touche à une espèce de sagesse musicale, parce que j’ai composé avec le luxe du temps.»
L’illustration de la pochette, montrant trois mains flottant au-dessus d’un piano, fait d’ailleurs allusion à l’impression qu’a eue le pianiste en composant que son instrument jouait seul.
«En comparaison des deux précédents albums, il y a un peu plus de dissonance sur Solo Piano III, de moments non résolus, des petites notes qui traînent… Je ne les résous pas comme je l’aurais fait il y a 10 ans», ajoute-t-il.
Le casseur de codes
Musicien touche-à-tout et personnage excentrique, Chilly Gonzales a récemment fait l’objet d’un documentaire, intitulé avec humour Shut Up and Play the Piano, qui retrace son parcours éclaté et qui sera projeté le 30 septembre au Rialto dans le cadre de Pop Montréal.
On y voit le musicien de 46 ans faire du body surfing dans une salle symphonique en hurlant: «Je n’ai pas d’assurances!» À un autre moment, il déchire un drapeau canadien. Se faisant questionner sur ses origines, il répond aux journalistes: «Je suis professionnellement juif.»
Journalistes à qui il reproche par ailleurs dans un autre passage de toujours poser les mêmes questions. (Précisons que Chilly Gonzales est d’une générosité admirable en entrevue, répondant longuement avec beaucoup de suite dans les idées à nos questions.)
En fait, Chilly Gonzales aime déstabiliser, sortir du moule et briser le décorum très rigide de la musique classique. «Je suis là pour casser tous les codes, expérimenter, pousser, aller trop loin des fois», dit-il.
C’est ce qu’il appelle «le principe du rappeur». Selon lui, un artiste authentique doit se commettre. «Les musiciens qui m’ont inspiré ont toujours montré un fantasme de rêve, mais aussi de cauchemar. Ils sont des héros et des vilains en même temps. L’authenticité est de partager, risquer, montrer des côtés pas très sympas, comme de l’arrogance ou un manque de confiance… Les artistes qui ne le font pas, je trouve ça plate, comme vous dites au Québec!»
Ça, c’est son côté enfant terrible. «Par contre, musicalement, je suis très bon élève, je suis assez conservateur, j’essaie de suivre les règles de la musique», nuance le pianiste. Les mélodies de ses trois albums Solo Piano sont en effet jolies, délicates et des plus agréables à écouter. «Je crois que la musique devrait être quelque chose qui plaît aux gens, fondamentalement, et qui devrait créer du plaisir pour les oreilles.»
C’est avec ce respect pour son art qu’il a depuis l’âge de trois ans que Chilly Gonzales prend plaisir à décortiquer des chansons pop et à éduquer son public à la théorie musicale. «J’ai ces deux côtés-là: à certains moments, je suis punk, et à d’autres, je suis un professeur bénévole. Je suis le prof de musique que tout le monde aurait souhaité avoir.» On ne peut que lui donner raison.
Solo Piano III
Disponible dès aujourd’hui
À la Maison symphonique les 26 et 27 octobre