François Delisle a toujours pratiqué un cinéma intransigeant. Il n’aura jamais été aussi confrontant et dérangeant qu’avec Ca$h Nexu$, un film qui est tout sauf aimable.
«C’est une révolte personnelle par rapport au monde qui nous entoure, où la valeur dominante qu’est l’argent détruit tous les liens, lance d’emblée le réalisateur. Le lien qu’on a aujourd’hui n’est plus une Histoire, mais seulement notre capacité à acheter ou à être selon un standing social qui est lié intrinsèquement à notre pouvoir monétaire. Ça crée automatiquement une scission entre moi et l’autre.»
Des iniquités sociales qui prennent ici la forme d’une allégorie familiale cauchemardesque, confrontant les façons d’être de frangins dont l’un est nanti (François Papineau) et l’autre pas (Alexandre Castonguay).
«Voir un frère tourner la tête quand son jeune frère traverse la rue était pour moi une image qui parlait», s’épanche le cinéaste.
Ce manque total – d’argent, d’amour, de drogue – s’exprime par une mise en scène d’une intensité peu commune, anxiogène et violente, évoquant les peintures de Francis Bacon, les univers sinueux de Philippe Grandrieux et les engueulades d’Ingmar Bergman.
«Je suis quelqu’un d’intuitif, qui sent les choses et qui ose se lever pour les dire.» – François Delisle, réalisateur de Ca$h Nexu$
«Le système dans lequel on vit a des influences sur nos corps, rappelle celui qui a déjà pratiqué un cinéma physique avec Toi. Si on parle de frontalité, les corps on les voit, on les sent, ils vibrent.»
La tragédie se déroule ainsi dans un enfer de douleurs et d’émotions, sombre et étouffant, parsemé d’éclaircies saisissantes de beauté et de poésie.
«Au départ, les deux frères sont des caricatures, souligne François Delisle. On est devant des images qu’on voit tous les jours. On est bombardés par ça. Et finalement avec le temps, il y a quelque chose qui se défait, qui se dissout. L’humanisme réapparaît.»
Jouant à fond la carte du symbolisme – comme le cinéaste a commencé à le faire dans Chorus, tout en prenant des risques en sortant de sa zone de confort comme à l’époque de Météore –, Ca$h Nexu$ demeure pour son créateur l’œuvre de tous les possibles. Celle où l’ambition démesurée permet une plus longue durée et une conclusion inoubliable…
«La vie est trop courte pour commencer à faire des concessions, maintient celui qui a également scénarisé, produit, filmé et monté ce long métrage. Ce qui est sain dans le monde, c’est quand un artiste se détourne du spotlight et décide d’aller explorer ce qui n’est pas éclairé. Ça révèle des choses sur notre existence. C’est un signe de santé intellectuelle, morale, sociétale. L’espoir est dans ce geste-là, qui est peut-être raide, pas dans le consensus, pas dans cette façon de se dire que tout va bien et qu’il ne faut rien changer.»
«Ce film a déclenché une prise de conscience chez moi, en tant qu’homme et artiste, sur le monde qui nous entoure, poursuit le réalisateur. Je vois Ca$h Nexu$ comme un point de départ, le début d’une trilogie.»