Son sourire est radieux aujourd’hui, mais Alanis Obomsawin a vécu une enfance «horrible». Celle qu’on a traitée de «sauvagesse» pendant des années s’est longtemps sentie en danger. Sauf en dormant. Dans ses rêves, elle a trouvé refuge, réconfort et inspiration pour ses gravures, dont une collection est présentée au Musée des beaux-arts de Montréal.
Prolifique cinéaste – elle a plus de 50 documentaires derrière la cravate –, auteure-compositrice-interprète de l’iconique album Bush Lady, conteuse et activiste maintes fois récompensée pour l’ensemble de son œuvre, Alanis Obomsawin est sans contredit un trésor culturel du Québec.
Encore la semaine dernière, elle a reçu une chaleureuse ovation au Gala Québec Cinéma. L’an dernier, autre consécration, une murale à son effigie a été inaugurée à Montréal. Toutefois, ses talents épatants en arts visuels sont peu connus. Ses estampes et ses gravures sont pourtant les créations les plus personnelles de l’artiste abénakise, qui a puisé en son for intérieur pour exprimer sur de délicats papiers ce qu’elle décrit comme sa «délivrance».
«Ces œuvres sont la mémoire de ma vie», résume-t-elle.
Elle-même, âgée de 86 ans, est la précieuse mémoire de sa communauté. Tissées ensemble, les centaines d’histoires qu’elle porte en elle racontent l’Histoire avec un grand H de sa nation, les W8banakiak d’Odanak.
Et des histoires, il y en a derrière chaque œuvre parmi la quarantaine qui forment cette rétrospective. En visite de presse, l’artiste en a généreusement partagé quelques-unes.
À commencer par ce cauchemar qui a inspiré une estampe bleutée d’un cimetière dans lequel se trouve une créature avec des bois sur la tête. Cette créature, c’est elle. Dans un «rêve épouvantable», Alanis Obomsawin s’était fait enterrer vivante par des étrangers venus dans sa communauté. «C’était effrayant», se souvient-elle. Quand elle était sortie de terre, des bois lui avaient poussé sur la tête, la rendant alors invisible.
«Nos peuples ne savent pas la richesse qu’ils ont, ils ne savent pas combien ils sont beaux. C’est pour ça que je continue, parce que j’y crois.» Alanis Obomsawin
Dans un autre songe, un cheval vert lui courait après sans relâche, raconte-t-elle en riant de bon cœur. Un monotype de ce cheval et plusieurs gravures montrant ce puissant animal sont exposés sur les murs rouges des deux salles du musée.
Cette couleur, qu’elle porte à chacune de ses apparitions publiques, vise à commémorer les femmes autochtones disparues et assassinées. Le hasard fait que le rapport de l’enquête nationale sur ce triste phénomène a été déposé à quelques jours de son vernissage. Alanis Obomsawin n’a pas encore eu le temps de le parcourir en détail, mais le simple fait qu’on parle enfin de cette réalité la rend optimiste. «On a cru que c’était normal de maltraiter les femmes comme ça, de penser qu’on pouvait se servir des femmes… Et je reste polie en parlant ainsi.»
Mère de tant d’enfants
Alanis Obomsawin rend d’ailleurs un vibrant hommage aux femmes dans un segment de l’exposition, nommé Mère de tant d’enfants. On y trouve une douzaine de gravures représentant des mères et leurs bébés. L’artiste les a conçues pour rappeler l’importance du lien mère-enfant chez les W8banakiak. «Avant la colonisation, jamais la mère n’était séparée de son nouveau-né», assure-t-elle.
Le titre de ce volet renvoie à celui de son premier long métrage documentaire, sorti en 1977. De la réalisation de ce film, elle ne garde pas de très bons souvenirs. Elle raconte que le premier jour du tournage, au moment où elle accompagnait une association de femmes autochtones, un homme a pris la parole au micro pour la sommer de partir, car «les femmes n’avaient pas d’affaire à prendre la parole en public». «J’aurais pu partir en pleurant, mais je lui ai enlevé le micro des mains et j’ai dit que je partirais seulement si les femmes me le demandaient», raconte-t-elle. Ce qu’elles n’ont bien sûr pas réclamé. Comment cette mésaventure s’est-elle terminée? «Ben, c’est lui qui est parti!» lance Alanis Obomsawin, faisant éclater de rire les journalistes massés autour d’elle.
Mais il n’y avait pas de quoi rire sur le coup. «C’était dur et insultant, ajoute-t-elle. Aujourd’hui, je suis très contente d’avoir résisté.»
«Je ne me suis jamais laissé faire», confiera-t-elle plus tard.
Sa force, son courage et sa détermination ont inspiré d’innombrables Autochtones d’un bout à l’autre du pays. Une femme ayant eu connaissance de sa lutte pour les droits des premiers peuples alors qu’elle vivait encore l’enfer des pensionnats a même nommé sa fille Alanis afin de lui rendre hommage.
Cette anecdote, Alanis Obomsawin la raconte devant une de ses gravures, qui aborde la tragédie des pensionnats. «J’ai trouvé ça tellement beau, dit-elle, peinant à retenir ses larmes. La survivance, c’est ça.»
Sa survivance à elle a été l’art sous toutes ses formes. Par la culture, elle transmet depuis plus de 50 ans la voix et les revendications des communautés autochtones. Ses yeux s’illuminent quand on lui parle de la relève, cette jeune génération d’artistes et d’activistes à qui elle a pavé la voie. «C’est merveilleux! C’est tellement fort. L’avenir s’annonce bien meilleur que le passé. Quelle chance j’ai d’avoir vécu assez vieille pour voir ça!»
Vannerie
Un volet de l’exposition présente une douzaine d’artefacts de vannerie, pratique qui a longtemps été le gagne-pain des résidants d’Odanak. Parmi ces objets, une sélection de paniers confectionnés avec du foin d’odeur et des éclisses de frêne. «Je m’ennuie de cette odeur! Ça sentait bon dans les maisons!» se souvient Alanis Obomsawin, qui a d’ailleurs immortalisé cette tradition dans le documentaire Waban-Aki: peuple du soleil levant.