«C’est un chemin de croix, cette rétrospective!» s’exclame Zïlon en éclatant de rire, après avoir raconté généreusement d’innombrables souvenirs de sa prolifique carrière. Cette rétrospective, c’est Zïlon et le Montréal underground, qui retrace l’œuvre incontournable du parrain du street art montréalais.
Des anecdotes et des souvenirs enfouis très loin sont remontés à la surface lorsque Zïlon a vu pour la première fois le résultat de l’exposition que lui consacre l’Écomusée du fier monde. «Quand je suis rentré ici, ça a été une surprise!» admet le punk sexagénaire à la langue bien pendue.
Zïlon, Raymond Pilon de son vrai nom, n’a pas voulu s’impliquer dans le montage du parcours, qui retrace 40 ans de carrière et, en filigrane, l’histoire du Montréal underground. «Je ne voulais pas arriver et dire: “Hey, hey! Mets ça là!” Je ne voulais pas être le boss des bécosses», résume-t-il en blaguant.
La surprise était donc totale lorsqu’il a retrouvé des œuvres qu’il pensait détruites ou disparues. Et l’émotion était au rendez-vous. «C’est très touchant. Ça montre d’où je viens, mes racines. Ça me fait sourire. Ça me montre que je suis vivant. Parce que souvent, je me sens très inutile.»
Cette rétrospective prend un sens tout particulier pour l’artiste, qui la dédie à sa mère, décédée en mai dernier. «Je viens d’une famille très disjonctée par la violence. Ma mère était tout de même là pour me protéger, quand je regarde la chose avec du recul… Mais elle ne comprenait pas mon côté alien.»
Derrière l’exposition se cachent son agent Pierre-Marc DesJardins et sa complice, France Cantin. «Ils savent comment prendre des Advil avant de me parler! pouffe Zïlon. Parce que je ne suis pas un oiseau facile. Mais quand je donne, je donne à 300 %.»
Non, il n’est pas un oiseau facile. Difficile d’interrompre son flot de paroles – «je radote ma vie», répète-t-il – pour tenter de lui poser une question. Mais oui, il donne à 300 %, que ce soit en partageant de précieuses anecdotes du passé ou en critiquant l’art de rue moderne, qu’il estime trop commercial.
Mais commençons par le commencement. Au début du parcours, présenté en ordre chronologique, les œuvres expérimentales et performatives rappellent que Zïlon est un instigateur du mouvement punk montréalais. De cette époque, il retient «l’effervescence d’une jeunesse».
Sans cacher sa nostalgie, l’artiste autodidacte se rappelle ses premières œuvres exposées au défunt Véhicule Art «dans le Red Light que vous n’avez jamais connu». À l’époque, il dévalisait les quincailleries pour se procurer ses outils de travail. «Aujourd’hui, tout est commandité», échappe-t-il.
S’arrêtant devant une vidéo de lui en pleine performance au tournant des années 1980, il s’exclame en riant: «J’ai l’air d’un mongol!»
«Montréal m’a permis – sans avoir de permis! – de diffuser mon art. Elle m’a donné des endroits absents, vides, que j’ai pu remplir de magie. Cette rétrospective, c’est un peu mon retour d’une façon officielle à Montréal.»
Ces performances «disjonctées, surréalistes, dadaïstes», comme il les décrit, ont toujours fait partie de sa pratique, qui s’incarne dans l’esprit DIY (do it yourself). «Je ne suis pas un artiste qui ne fait que de la petite peinture et des petits dessins. Je me considère plus comme un agent provocateur.»
En fait foi le fashion attack qu’il a organisé aux Foufounes électriques, à l’époque où l’endroit était d’un bar underground. «Des demoiselles portaient un habit blanc, comme un canevas, et moi, je sortais du public avec deux ou trois cannettes d’aérosol dans les poches et je les vandalisais. Je leur disais: “Vous avez le droit de me câlisser des coups de poing dans la face et de me pousser en bas du stage.” Il y a eu des batailles. C’est ça que je voulais! Ce n’était pas posé. C’était vraiment une attaque, une surprise, une performance.»
C’était de l’improvisation. «Si j’écris un livre avant ma mort, ça s’appellera J’ai improvisé ma vie.»
Cet esprit punk animait aussi les cocktails graffiti, ces peintures en direct qu’il réalisait en pleine nuit dans des endroits abandonnés. «On faisait des murales sauvages, décrit-il. On travaillait sans lumière, à 3 h du matin. Il fallait faire attention, des fois, il manquait des bouts d’escalier dans certaines places!»
Cette époque est révolue, avance l’indomptable artiste, qui se sent toujours dans l’underground, malgré de nombreuses collaborations avec de grands créateurs, dont les metteurs en scène Robert Lepage et Wajdi Mouwad. «On me fait encore sentir dans l’underground», précise-t-il.
La griffe de Zïlon est pourtant reconnaissable entre toutes dans le paysage montréalais, avec ses mille et un visages androgynes tracés au marqueur noir, symboles de l’angoisse et de l’inconfort humains.
Malgré la cinquantaine d’expositions qu’il a derrière la cravate, l’artiste déplore manquer de reconnaissance au Québec. «À New York ou au Japon, ce serait autre chose. Les Québécois n’ont jamais vraiment compris l’affaire», laisse-t-il tomber.
Dans un documentaire diffusé en marge de l’exposition, le conseiller municipal Sterling Downey, cofondateur du festival d’art urbain Under Pressure, le compare à Jean-Paul Riopelle et Armand Vaillancourt. Il se désole que les œuvres de Zïlon ne fassent pas partie des collections permanentes des grands musées.
Rebelle et insoumis, Zïlon est resté fidèle à ses racines tout en se réinventant au fil des ans. «Si j’étais blindé comme les grands artistes, je pourrais faire un Zïlon de 300 pieds par 400 avec de gros diamants dessus. Mais je trouve plus intéressant de travailler avec le peu que j’ai, que ce soit un rouge à lèvres ou un bout de crayon. Ce sont des instruments pour faire de la magie», dit-il.
De ses collaborations nombreuses et variées, évoquées dans le parcours d’exposition, il conserve d’excellents souvenirs des murales qu’il a peintes pour Givenchy en 2013, à Paris, et des costumes qu’il a conçus pour le desginer Philippe Dubuc, ici. «J’ai fait deux grandes salopettes noires, t’aurais du me voir travailler! J’avais deux chats, ça sautait d’un bord pis de l’autre!»
Tout récemment, il a apposé sa signature visuelle dans le jeu Far Cry: New Dawn, d’Ubisoft. «J’étais le seul analogue dans toute la gang. J’ai trouvé ça hallucinant! J’avais l’air d’une bibitte, d’un dinosaure dans toute cette jeunesse “nerdienne”», raconte-t-il, amusé.
Que retient-il de l’ensemble de sa foisonnante carrière? Le plaisir. «S’il n’y en a pas, il manquerait rien qu’un cercueil au milieu de l’exposition pour que je me couche dedans.»
Un peu d’info
Zïlon et le Montréal underground
À l’Écomusée du fier monde jusqu’au 1er septembre