Le réalisateur Martin Scorsese a présenté vendredi pour la première fois son nouveau film The Irishman en ouverture du festival de New York, un projet ambitieux qui doit à la plateforme Netflix d’avoir vu le jour, plus d’une décennie après son lancement.
Autour de 160 M$ de budget, 117 lieux de tournage différents, 309 scènes distinctes, une distribution exceptionnelle, un film long de 3H29, c’est l’une des productions les plus ambitieuses de la carrière du metteur en scène new-yorkais, qui en compte pourtant beaucoup.
Robert De Niro et Martin Scorsese ont commencé à tourner autour de l’adaptation du livre J’ai tué Jimmy Hoffa de Charles Brandt (I Heard You Paint Houses en anglais) il y a 12 ans.
«Il y a eu des contretemps »» a dit pudiquement Martin Scorsese vendredi lors d’une table ronde après la projection. «Nous ne parvenions pas à trouver les fonds. Il n’y avait pas moyen. Pendant des années.»
«Je suis heureux que nous ayons finalement réussi à le faire, parce que cela a pris longtemps», a renchéri Robert De Niro. «Nous avons eu de la chance de trouver des gens prêts à mettre l’argent.»
Après le refus de plusieurs studios, il aura fallu la puissance financière de Netflix pour accoucher The Irishman, le surnom de Frank Sheeran, dont le témoignage constitue la trame du livre et du film.
Le long métrage sortira dans un nombre limité de salles le 1er novembre aux États-Unis, avant d’être mis en ligne sur Netflix le 27 novembre.
Ancien homme de main, Frank Sheeran raconte qu’il a tué plus de 25 personnes sur ordre du chef mafieux Russell Bufalino et du patron du syndicat des chauffeurs routiers, Jimmy Hoffa.
Au cahier des charges, la production a ajouté un nouveau procédé technique développé par Industrial Light & Magic (ILM, société créée par George Lucas) le «de-aging», qui permet de rajeunir un acteur ou une actrice à l’écran.
Robert De Niro et ses 76 ans devait en effet incarner Frank Sheeran de 1955, à l’âge de 34 ans, à sa mort, en 2003 (à 83 ans).
Ils «devaient trouver une solution de rajeunissement qui n’interfère pas avec [le jeu] de Bob [De Niro], Joe [Pesci] et Al [Pacino]», a expliqué Martin Scorsese, «qu’ils n’aient pas à se parler en portant des casques ou des balles de tennis sur le visage. Ils ne l’auraient pas fait.»
ILM est finalement parvenu à ses fins grâce aux caméras et sans appareiller les acteurs.
Passées quelques minutes troublantes, pour qui a déjà vu jouer Robert De Niro, le stratagème technique fonctionne globalement, de même que pour Al Pacino (79 ans), qui campe Jimmy Hoffa, à moins de 50 ans dans certaines scènes.
La première réaction de De Niro en se voyant rajeuni? «Je pourrais rallonger ma carrière de 30 ans», a-t-il dit vendredi, dans un sourire.
Meurtres et moralité
Avec The Irishman, Martin Scorsese retourne à la veine des films de gangsters qui ont fait sa légende, comme Les Affranchis, Casino ou Les Infiltrés, mais avec une trame plus proche de faits et de personnages réels.
Mais le film abandonne un peu de la tension qui animait ces oeuvres pour prendre du recul, celui de Frank Sheeran, vieil homme qui, à coups de flashbacks, fait le bilan de sa vie et passe le tout au crible de la moralité.
Plus généralement, The Irishman gravite autour d’un autre moment-clé de la vie de Frank Sheeran, à l’épreuve d’un «conflit moral», selon Martin Scorsese, qui rappelle la tragédie grecque.
Le metteur en scène introduit aussi de la distance grâce aux dialogues, avec un humour plus présent que d’ordinaire, qui illumine des scènes savoureuses entre les géants que sont De Niro et Pacino.
Au-delà des personnages de Sheeran et Hoffa, Martin Scorsese dit avoir voulu rappeler ce qu’étaient les années 60, une époque violente où «tout le monde se faisait tirer dessus», John F. Kennedy le premier.
Semblant en appeler à l’époque actuelle, il a évoqué «les forces de l’ombre qui existent dans notre pays».
«Cela n’arrive pas avec un seul coup de feu», a-t-il dit, dans un langage semi-crypté. «Cela se passe progressivement, à tous les niveaux, et avant que vous ayez eu le temps de réagir, c’est fini.»