Ira Sachs multiplie les chassés-croisés tendres et solaires dans son dernier long métrage Frankie.
Il y a des œuvres qui nous marquent à jamais. Pour Ira Sachs, il s’agit de Kanchenjungha du grand cinéaste indien Satyajit Ray.
À tel point que ce long métrage, qui se déroule sur une journée, a été le premier projet auquel il a pensé lorsque Isabelle Huppert l’a approché pour tourner avec lui.
«Elle avait aimé mon film Love is Strange et voulait qu’on travaille ensemble, relate le metteur en scène américain, rencontré durant le Festival international du film de Toronto. Je ne voulais pas faire n’importe quoi avec elle. Je voulais trouver un projet qui ait du sens.»
«Je suis un réalisateur américain qui a toujours été attiré par le cinéma européen. Alors, en tournant à l’étranger, je me sentais plus chez moi qu’à New York.» – Ira Sachs
Le créateur du savoureux Little Men lui a alors écrit un personnage sur mesure, celui d’une actrice à la santé défaillante. «J’ai toujours eu l’intime conviction de la connaître, confie le réalisateur et scénariste. Nos personnalités se ressemblent beaucoup… Je voulais qu’Isabelle apporte le plus d’elle-même au rôle de Frankie, qu’elle se révèle le plus simplement possible.»
Il l’a entourée d’une spectaculaire distribution – Brendan Gleeson, Marisa Tomei, Greg Kinnear, Jérémie Renier – qui joue des amis et des membres de sa famille. Les destins de ces derniers s’entrecroisent durant quelques heures lors de vacances passées dans le cadre enchanteur de Sintra, au Portugal.
Comme toujours, celui qui s’est fait remarquer sur la scène indépendante avec son déchirant Keep the Lights On y met beaucoup du sien, créant un récit sensible et doux-amer, dont l’émouvante mélancolie résonne dans la façon d’évoquer la Grande Faucheuse, qui viendra un jour ou l’autre.
«Je crois que tous mes films sont des objets personnels, pas forcément autobiographiques, mais l’expression de mes expériences, de qui je suis», confie le cinéaste, ouvertement homosexuel et grand admirateur du cinéma de Yasujiro Ozo et de Maurice Pialat. «J’ai 53 ans et j’ai vu l’ancienne génération disparaître. Je suis rendu à un âge où je pense à la mort.»
Et il le fait avec sérénité, au moyen d’une mise en scène au rythme méditatif, centrée sur les échanges verbaux.
«Quand j’ai su que j’allais faire un film sur des gens qui marchent et qui parlent dans la nature, j’ai tout de suite voulu me rapprocher d’Éric Rohmer, explique Ira Sachs. J’aime sa façon de tourner, avec ces personnages qui se déplacent autour de la caméra. C’est un langage cinématographique très excitant, même si mon directeur de la photographie n’avait jamais fait un film aussi difficile!»
«Mais revenir à Rohmer, c’est se rappeler que, peu importe ce qui arrive, c’est toujours la nature qui a le dernier mot.»