Pour sa première réalisation au cinéma, le grand bédéiste Lorenzo Mattotti a décidé de transposer sous le titre La fameuse invasion des ours en Sicile le chef-d’œuvre de Dino Buzzati.
«Je me demandais pourquoi personne n’avait encore fait de film d’animation avec ce grand spectacle, s’est demandé en entrevue l’artiste italien, rencontré lors des Rendez-vous du cinéma français à Paris. C’est très important de faire connaître des histoires de notre patrimoine.»
Paru en 1945, La fameuse invasion de la Sicile par les ours est une référence littéraire qui a marqué petits et grands. Un conte moral sur des ours qui décident d’attaquer des humains afin de récupérer un des leurs.
«Buzzati arrive à raconter des choses très fortes, très dures, mais avec délicatesse et légèreté, raconte l’illustrateur de 66 ans. Il y a toujours plein de changements d’atmosphères. Il y a des fantômes et ensuite on rigole, on danse. Il y a la mort, mais aussi la poésie.»
Le scénario de Jean-Luc Fromental et Thomas Bidegain (qui a écrit tous les films de Jacques Audiard depuis Un prophète) ajoute de la complexité à l’opus en traitant notamment de la corruption de l’innocence.
«On a dû créer des choses, car il y avait des trous de cohérence dans le récit original, se rappelle en riant celui qui appose sa griffe au neuvième art depuis 45 ans. En même temps, je voulais être fidèle à l’écrivain, le respecter au maximum. En fin de compte, c’est impossible. Il faut toujours le trahir. Cependant, chaque fois, on se demandait si c’était l’esprit buzzatien, si c’était sa façon d’inventer les choses.»
«C’est très important de faire découvrir aux enfants qu’il y a des histoires, des manières de raconter et des façons de dessiner différentes de celles mises en avant par les Américains ou les Japonais.» Lorenzo Mattotti, réalisateur et bédéiste
Le style immédiatement reconnaissable de Buzzati et celui tout aussi unique de Mattotti ne tardent d’ailleurs pas à se mélanger sur le plan visuel, au sein d’une élégante animation en deux dimensions.
«J’ai essayé de faire du cinéma, pas un petit film pour la télévision, relate celui dont le goût pour la peinture ressort clairement à l’écran. On a travaillé avec l’espace, les paysages, l’architecture. Je voulais donner la possibilité aux gens d’entrer dans les images grâce à la profondeur du film, à sa grande lumière, aux couleurs méditerranéennes de ma culture.»
Un résultat qui tranche avec ce qui se fait généralement en matière de dessins animés.
«En Europe, il y a beaucoup d’animations pour adultes, avec des histoires très sombres, très tristes, très fortes, fait remarquer Lorenzo Mattotti. Mais il ne faut pas oublier de faire de grandes histoires aussi pour les enfants. C’est primordial de ne pas leur raconter n’importe quoi, de ne pas leur mettre des stéréotypes dans la tête ni de les prendre pour de la viande à faire de l’argent.»